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heures. Malgré ces abus intolérables de pouvoir, les services rendus par l’Académie étaient si considérables, sa situation était encore si respectée, sa constitution intérieure dont elle-même proposait la réforme relativement si libérale, que Mirabeau put la défendre, que l’assemblée constituante n’y voulut point toucher et qu’il fallut pour l’emporter, l’irrésistible ouragan de 1793.


II

Tout en laissant vivre de nom l’Académie, la constituante lui avait, de fait, enlevé les expositions en décidant que tous les artistes, français ou étrangers, membres ou non de l’Académie, y seraient admis sous la seule surveillance du ministre de l’intérieur. La mesure était commandée par le mouvement impétueux de l’opinion publique, qui, dans son enthousiasme ardent pour toutes les libertés, s’impatientait de tout reste d’autorité, apparent ou réel. « L’empire de la liberté s’étend enfin sur les arts, s’écrie le rédacteur du livret de 1791 ; elle brise leurs chaînes, le génie n’est plus condamné à l’obscurité. » Le fait est qu’entraînée, là comme partout, par l’impérieuse nécessité d’unifier et de centraliser, la grande assemblée, rompant avec tout le passé, substituait, avec une généreuse imprévoyance, au nom des principes absolus d’égalité parfaite, l’autorité unique de l’état dominateur à l’activité multiple des groupes indépendans. Ce n’était pas seulement l’Académie royale discréditée par ses accès d’intolérance qui devait sombrer dans la tempête, avec son fort système d’enseignement et sa féconde solidarité ; la destruction allait atteindre toutes les académies provinciales, ses correspondantes, qui maintenaient à Marseille, à Lyon, à Bordeaux, à Toulouse, l’activité des écoles locales, formant, par leurs leçons, en même temps que des artistes admirables pour les grands travaux, d’excellens ouvriers pour l’industrie. Les sociétés libres elles-mêmes, qui s’étaient péniblement fondées depuis quelques années, les rivales courageuses de l’Académie, l’Académie des arts et métiers, la Société des amis des arts, qui avaient ouvert des expositions libres, allaient être frappées par l’horreur implacable et irraisonnée qui s’attachait au mot honni de corporation. Nos écoles provinciales ne se sont jamais relevées de ce coup, et il a fallu un demi-siècle d’abaissement dans notre industrie avant que la France s’aperçût, par les expositions universelles, de l’insuffisance technique de nos ouvriers, pour qui rien n’a, pendant longtemps, remplacé l’éducation méthodique autrefois donnée par les corporations spéciales. On ne saurait, à vrai dire, faire un crime aux réformateurs convaincus de 1790 de n’avoir pas prévu les conséquences d’une situation absolument nouvelle, non plus qu’aux