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comme on en voyait cependant quelques-uns à chaque Salon, admis par le jury. Il n’y a de changé que le nombre prodigieux de ces images excentriques. Ce qui est singulier et triste, c’est qu’il n’y a pas un talent nouveau dans ce pêle-mêle d’œuvres étranges. » Malgré son dégoût, Thoré persiste à demander encore, pour l’année suivante « l’essai de la liberté définitive à la condition qu’un comité intelligent sépare les œuvres d’art de toutes ces ordures inqualifiables. » Il espère d’ailleurs que le changement de régime politique va rapidement faire éclore un art véritablement poétique et civilisateur et que l’accueil qui leur est fait décidera « les barbouilleurs » à embrasser une autre profession. « Après l’avertissement du ridicule, pourquoi d’estimables citoyens persisteraient-ils à forcer l’entrée du monde poétique quand la société républicaine leur offre la truelle au lieu du pinceau ? »

Cette offre de truelle ne parut à personne une garantie suffisante contre les erreurs de vocation et les illusions d’amour-propre : les artistes eux-mêmes réclamèrent un jury. Le règlement de 1849 donna la consécration officielle à presque tous les articles du projet élaboré par MM. Villot, Clément de Ris et Boissard. Il sembla un moment qu’on avait trouvé un régime durable dans lequel les artistes, suffisamment libres, et l’état, suffisamment responsable, pourraient vivre sans trop de bruit. Cependant il n’en fut rien. Soit que l’administration ait été trop autoritaire, soit que les artistes deviennent trop exigeans, plus nous approchons de l’époque actuelle, plus on voit le règlement, sans cesse remanié, se modifier irrégulièrement, sans direction suivie, avec une mobilité qui implique, de la part du gouvernement, une singulière indécision dans la conscience de ses droits ou de ses devoirs. En 1850, l’état affirme ses droits en composant différemment le jury d’admission et le jury de récompenses. En 1852 et en 1853, il équilibre les deux influences en réservant moitié des voix aux artistes et moitié à l’administration. Cette solution, fondée sur les règles correctes de toute opération collective, parut encore insuffisante. En 1857, on reprend le régime autoritaire de 1831 ; c’est l’Institut qui, de nouveau, devient l’unique juge. De nouveau aussi, les clameurs s’élèvent, si menaçantes pour la popularité de l’administration que, cette fois, le ministre cède au torrent ; en 1864, il évince l’Institut du Salon en même temps que de l’École des beaux-arts, cède les trois quarts du jury aux exposans, ne se réserve plus qu’un quart de voix, décrète l’égalité des récompenses et l’unité de médaille. Les inconvéniens de ce régime mixte, d’ailleurs si bienveillant, ne tardèrent pas à se faire sentir. Les artistes, aux trois quarts maîtres dans le palais, tendirent insensiblement à