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de bon vouloir finirent par se disperser faute d’adhérens. « Malgré mon insistance obstinée, dit un rapport administratif, les artistes, frappés d’une injustifiable défiance envers eux-mêmes, ont renoncé à la liberté et à l’initiative qui leur étaient offertes et les mettaient dans les mêmes conditions indépendantes que les artistes de toutes les autres nations de l’Europe. Ils ont préféré depuis lors, tout en maugréant chaque année et contre les règlemens et contre les jurés élus par eux-mêmes, demeurer soumis à la coutume administrative qui depuis trente ans régit leurs expositions. Cependant les vices de cette coutume vont chaque année s’aggravant davantage. »

On voit que, si les artistes n’ont pas pris plus tôt leurs affaires en mains, ce n’est point faute d’invitations réitérées. Malgré les nombreux changemens de personnes, l’administration n’a point varié de principes, à cet égard, depuis 1870. Tous les conseils, toutes les commissions, quelle que fût leur origine, tour à tour consultés à ce sujet, ont invariablement émis le vœu que les intérêts des artistes et que les intérêts de l’art fussent, dans l’avenir, nettement séparés. « L’état, ont-ils dit, doit s’occuper des œuvres, non des individus. Son patronage doit être réservé aux travaux d’intérêt public, aux efforts désintéressés, aux manifestations élevées de l’intelligence ; il n’a point à s’étendre jusqu’à la production courante de tous les ouvrages peints et sculptés dont l’écoulement naturel se fait par les voies commerciales. S’il couvre de sa garantie une exposition, cette exposition ne peut être qu’une exposition de choix. Il faut que la nation y trouve un enseignement et que les artistes y cherchent des exemples. S’il y a des récompenses officielles, ces récompenses doivent être assez précieuses pour qu’on les estime, assez rares pour qu’on s’en honore. Rien de plus légitime, sans doute, que le sentiment qui pousse tous les artistes, même les débutans, même les amateurs, à se soumettre au jugement public ; mais qui donc mieux qu’eux-mêmes réglera les conditions dans lesquelles ils le veulent faire ? Il n’est point juste que l’état compromette sa responsabilité là où il a abandonné son autorité. Les expositions annuelles, dans leur désordre actuel, n’ont plus d’officiel que le nom. Qu’on les laisse donc gérer par les intéressés avec toutes charges et tous profits. Quand l’état croira devoir, dans un but d’éducation publique ou de gloire nationale, exposer la situation de l’école française, il n’en sera que plus libre pour réunir, sans limiter la place aux maîtres, tous les vrais chefs-d’œuvre qui honorent le pays. » Cette pensée dicta d’abord le décret du mois de décembre 1878, qui instituait les expositions triennales et récapitulatives, en abandonnant progressivement les expositions annuelles à la gestion directe des artistes. La même pensée dicta le règlement de 1880, qui essaya de substituer un classement méthodique au pêle-mêle