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aux artistes français ; la seconde, c’est que cette exposition a besoin, pour retrouver son éclat et remplir un but utile, d’une réforme décisive ; la troisième, c’est que cette réforme décisive ne peut être opérée que par une autorité responsable et unique, soit par l’association des artistes, si elle se trouve assez mûre pour établir son indépendance sur des bases durables, soit, à son défaut, mais à son défaut seulement, par l’état reprenant avec franchise et fermeté sa liberté d’action.

Les agitations dont nous avons suivi les traces dans les secousses imprimées sans trêve à la direction du Salon n’ont pas, après tout, été stériles. Les institutions vivantes et faites pour vivre excitent seules à ce point l’ardente émulation des esprits à les corriger et les améliorer. S’il est nécessaire de faire la part des imperfections humaines dans les dissentimens plus vifs que profonds, plus subtils qu’amers, dont le retour semble régulier dans les rapports des artistes avec l’état, on doit reconnaître que ces dissentimens ont eu presque toujours pour motifs honorables, d’une part, le légitime désir de donner à l’art qu’on exerce une plus grande liberté d’expansion, d’autre part, la louable intention de donner à l’art qu’on encourage une plus haute utilité sociale. Chez les artistes, l’égoïsme professionnel, naturel à toutes les corporations, oubliant de tenir compte de l’entourage social et des nécessités générales chez les dépositaires du pouvoir ; l’égoïsme gouvernemental, presque fatalement développé par l’exercice de l’autorité, oubliant de tenir compte des libertés particulières, ne s’y manifestent, en réalité, que par accès rapides et bien vite oubliés. Le bon vouloir est, en général, non douteux de part et d’autre. L’état a besoin des grands artistes autant que les grands artistes ont besoin de l’état, et les séparations ne pourraient jamais être bien longues entre eux. L’art n’est pas seulement l’honneur d’un pays, il en est aussi la force. Nos statues, nos tableaux, nos gravures portent la gloire et la pensée de la France à toutes les extrémités du monde, là où ne flotte même pas son drapeau. Aucun gouvernement ne saurait les oublier sans manquer à sa mission et sans compromettre, non-seulement les intérêts intellectuels, mais encore les intérêts matériels de la nation.

S’ensuit-il que la protection due aux arts soit également et indistinctement due à tous ceux qui les exercent ? La question n’en est pas une. Une société ne doit son concours qu’à ceux qui lui sont utiles, dans la sphère intellectuelle comme dans le domaine matériel, à ceux qui ne peuvent, vivre et travailler sans ce concours. Il est naturel, il est légitime, il est nécessaire qu’une société emploie les moyens qu’elle trouve à sa disposition pour susciter les productions sérieuses, nobles, désintéressées, dans les lettres, les