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ce qui devait donner à cette plaine en grande partie inondée et toujours submersible une physionomie toute spéciale, c’étaient le nombre et la direction des bras du Rhône, alors dépourvu de digues et divaguant en toute liberté à la surface du delta. Ici, il faut l’avouer, malgré les savantes tentatives de restauration que l’on a faites récemment du cours inférieur du fleuve, on est réduit à de simples approximations.

Les géographes classiques ne nous ont laissé à ce sujet que des renseignemens obscurs, très incomplets, souvent contradictoires. Quelques-uns, sur la foi d’Apollonius, ont attribue au Rhône, comme au NH, jusqu’à sept embouchures. Festus Avienus, Diodore de Sicile et Timée lui en donnent cinq. Strabon, ordinairement si net et si précis, ne hasarde aucune appréciation personnelle et se contente d’indiquer l’opinion d’Artémidore, qui comptait trois bouches, et celle de Polybe, qui n’en comptait que deux, ce qui est aussi le sentiment de Ptolémée. Pline est le seul qui nous ait donné quelques détails permettant de déterminer la position relative des bras. Il en énumère trois sans compter le bras artificiel des Fosses-Mariennes. « Les deux petites embouchures, dit-il, sont appelées Libyques, l’une est appelée espagnole, os hispaniense ; l’autre métapine, os metapinum ; la troisième, qui est de beaucoup la plus vaste, est la bouche marseillaise, os massalioticum.

Ce nom de « bouches Libyques, » ora libyca, rappelle une petite tribu de la peuplade ligure qu’on appelait Ligures Libyci ou Libeci, et dont on a retrouvé la monnaie, aux types de Marseille, avec la légende rétrograde Libeci en caractères celtibériens.

Il est évident que la branche espagnole était la plus occidentale, et que la branche massaliotique ou marseillaise correspondait à peu près au grand Rhône d’Arles. Bien que Pline la considère comme la plus importante, l’examen de toutes les cartes littorales et des portulans du XVIe siècle, et mieux encore les longues traînées d’alluvions laissées sur le sol, démontrent que, dans les temps anciens, pendant tout le moyen âge et même pendant la plus grande partie des temps modernes, le Rhône s’est largement répandu du côté de Saint-Gilles, d’Aigues-Mortes et se prolongeait jusqu’au sud de Montpellier ; et l’on retrouve encore dans la plaine entrecoupée de marais qui sépare Aigues-Mortes de la mer les lits plus ou moins desséchés de l’ancienne branche espagnole et de ses ramifications désignées sous le nom de Rhônes-morts. Peu à peu l’atterrissement s’est produit, le fleuve s’est rejeté à l’est ; le petit Rhône s’est formé au pied du coteau de Saint-Gilles, et il a fini par céder la prééminence au bras oriental d’Arles, qui écoule aujourd’hui les 4/5 des eaux. Les déplacemens du Bas-Rhône ont, comme on le