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particulier de celui des cordons littoraux. Les barres sont des fragmens de cordons littoraux en voie de formation et encore sous-marins ; les cordons littoraux, à leur tour, ne sont que la réunion d’anciennes barres émergées et ayant acquis tout leur développement.

Les embouchures des fleuves présentent en général deux aspects tout à fait contraires. Lorsque les eaux se déversent dans un bassin inerte et à niveau à peu près constant comme la Méditerranée, la Mer-Noire ou le golfe du Mexique, elles sont presque toujours oblitérées par une barre ; lorsqu’elles aboutissent, au contraire, dans une mer à niveau variable et soumise au va-et-vient alternatif des marées, les passes sont libres. Les estuaires les plus profonds se trouvent toujours dans les mers où le flux et le reflux sont le plus accentués ; les barres les plus puissantes sont dans les mers les plus calmes. Dans les océans, les embouchures des fleuves forment un golfe : tels sont la Tamise, la Seine, la Gironde, l’Hudson, le Saint-Laurent. Dans les méditerranées elles forment une saillie : tels sont le Pô, le Nil, le Danube, le Tibre, le Rhône, le Mississipi. Les marées produisent donc une chasse énergique dans l’estuaire des fleuves ; elles abaissent périodiquement le seuil sous-marin de la barre, qui tend toujours à se reformer et le refoulent assez loin dans l’intérieur du fleuve où le courant le drague d’une manière continue. Tout le monde sait qu’il existe une barre sur la Seine et que cette barre, repoussée par le flux. de la Manche, remonte avec la marée à plus de 50 kilomètres de l’embouchure.

La barre est donc un phénomène constant ; et un ingénieur éminent, M. Surell, qui a fait de la région du Bas-Rhône l’objet d’études approfondies, l’appelle avec un rare bonheur d’expression un monument d’équilibre élevé sur la limite de deux forces qui se combattent : d’une part, le fleuve animé de son impulsion ; de l’autre, la mer résistant par sa masse et repoussant le courant fluvial, de telle sorte que chaque changement dans l’une de ces forces entraîne de nouvelles conditions d’équilibre et modifie la forme et le niveau du seuil sous-marin. La hauteur d’eau sur les passes et l’emplacement de l’a barre par rapport à l’embouchure doivent donc varier avec l’état du fleuve et celui de la mer. Lorsque les eaux fluviales sont stagnantes, le dépôt se fait à la limite même des eaux maritimes et des eaux douces.

Si le courant persiste au dehors, k : barre s’établit en mer ; si les marées pénètrent dans l’intérieur, la barre existe en rivière. Mais elle existe et doit toujours exister ; elle change seulement de position, de forme et de profondeur, marquant exactement la place où la vitesse des eaux fluviales est amortie par la résistance et l’agitation des vagues.