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arriver, pendant les gros temps, sur la barre même, avec des embarcations légères. Les sémaphores arborent alors le signal du doute, soit parce qu’il n’existe pas une profondeur suffisante, soit même parce qu’il a été impossible de reconnaître exactement la passe. Les navires doivent alors rester en panne, ballottés entre le fleuve boueux et la mer furieuse, heureux si cette manœuvre imprudente se traduit par un simple échouage et ne leur occasionne pas des périls bien autrement sérieux.

Les vieilles archives d’Arles sont remplies de document qui témoignent des préoccupations de la marine au sujet de ces embouchures incertaines. Les bateaux en pleine charge étaient obligés de faire en mer un transbordement difficile, onéreux et souvent plein de dangers ; les cargaisons étaient déversées sur des allèges qui s’engageaient alors dans le chenal du fleuve. La situation était donc aussi précaire dans les siècles passés que de nos jours, et cette barre du Rhône constitue en fait, depuis longtemps, une jauge naturelle qui s’impose aux navires et ne leur permet de porter à Arles, non pas le tonnage que le fleuve pourrait recevoir, mais celui qu’il est possible de conserver sur une mince crête de sable, qui a à peine une certaine de mètres de largeur.


III

Il n’existe que deux moyens pour assurer une navigation régulière aux embouchures d’un fleuve. On peut chercher à améliorer directement la passe en y entretenant un chenal maritime ; ou bien, abandonnant la barre à elle-même, exécuter en amont une dérivation artificielle et créer ainsi une embouchure nouvelle que l’on met en communication avec la mer.

Le premier moyen est l’endiguement ; le second est la canalisation latérale.

L’idée de tourner ainsi l’obstacle des embouchures par un canal latéral est loin d’être nouvelle. Lorsque, après avoir ruiné la ville de Tyr, Alexandre voulut transporter en Égypte tout le commerce grec au détriment du commerce phénicien, il reconnut tout de suite que le succès de son entreprise était lié à la communication permanente du Nil avec la mer. Les sept bouches du fleuve étaient encombrées comme celles du Rhône, et les connaissances hydrauliques de l’époque ne permettaient guère de les approfondir. Les digues en rivière et les travaux à la mer entraient peu dans la pratique des ingénieurs anciens. Le percement d’un canal à travers les sables du Delta n’était qu’une affaire de main-d’œuvre et ne coûtait pour ainsi dire rien aux vainqueurs. Une armée d’esclaves