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sud de la chaîne des Alpines, c’est-à-dire au pied même de l’ancien camp de Marius. C’était donc par là seulement que pouvaient venir les approvisionnemens de l’armée romaine. Délaisser le Rhône, creuser et approfondir des passes navigables dans les étangs, assurer ainsi à travers la lagune une communication régulière entre la mer et le plateau des Alpines, telle fut l’œuvre grandiose de Marius. Il y employa son armée. Terrassiers infatigables, ces soldats, si durs à la fatigue qu’on les appelait des mulets, creusèrent un chenal continu entre leur camp et la mer, et les navires d’Ostie purent venir apporter jusqu’aux retranchemens romains les armes, les munitions et les souvenirs de la mère patrie. Ce furent les célèbres Fosses Mariennes, Fossœ Marianœ. Le petit village de Fos en Provence en a conservé le nom et marque la place de son embouchure dans le golfe. Œuvre d’abord militaire et provisoire, créée pour les besoins passagers de la guerre, elle fut continuée et perfectionnée par les Grecs de Marseille. Marius, en effet, leur céda son canal en récompense des services qu’ils lui avaient rendus pendant la campagne des Gaules. Commerçans avisés, ils y établirent immédiatement un péage, et Strabon raconte que ce droit de navigation, tant à la remonte qu’à la descente, leur rapportait de grands revenus. Ce fut un de leurs principaux établissemens sur la côte de la Narbonaise ; et l’on peut voir sur la carte de Peutinger le port des Fosses Mariennes représenté, comme celui de Claude à Ostie, sous la forme d’un portique demi-circulaire, dont la concavité est tournée du côté de la mer.

L’embouchure actuelle du fleuve était donc délaissée dès les premiers siècles de notre ère, Le port des Fosses Mariennes devint, comme le Pirée pour Athènes, le faubourg maritime de la ville d’Arles ; il lui ouvrait la route de la mer, permettait aux navires de venir mouiller dans la lagune au pied de ses remparts ; et nul doute qu’il ait contribué dans une très grande mesure à développer dans la ville constantinienne cette prospérité commerciale dont l’édit d’Honorius et de Théodose au préfet des Gaules nous a laissé une si pompeuse description. Ainsi, pour le Rhône antique comme pour l’Aude, le Pô, le Nil et le Rhin, le problème des embouchures fut résolu par une canalisation latérale en dehors de la zone des atterrissemens du fleuve. Il nous reste maintenant à examiner les solutions adoptées par les ingénieurs modernes, les résultats qu’ils ont obtenus, ceux qu’ils attendent, leurs projets actuels. Ce sera l’objet d’une dernière étude.


CHARLES LENTHERIC.