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— Ce n’est pas sur le souvenir des services rendus que nous comptons pour maintenir la bonne harmonie entre les deux nations, nous faisons plus de fond sur les services qu’elles peuvent encore se rendre. La reconnaissance n’est pas un mot de la langue politique, il vaut mieux s’en rapporter à l’intérêt bien entendu. L’Italie a besoin de l’assistance financière de la France, et, de son côté, la France est politiquement intéressée à ménager dans tout ce qu’elles ont de légitime les susceptibilités de l’Italie. Que les uns se tiennent en garde contre les impatiences de l’humeur, qui gâte tout, et les autres contre les aigreurs d’un amour-propre qui se crée de chimériques chagrins.

Tous les Italiens sensés savent comme nous qu’en pénétrant dans la vallée de la Medjerda et dans les montagneux repaires des Kroumirs, les Français ne se proposent pas de faire une guerre de conquête, qu’ils se mettent simplement en défense. M. de Tchihatchef s’est appliqué à démontrer dans son livre « que la Tunisie est la continuation, le complément naturel de l’Algérie, qu’elle doit un jour lui être rattachée, que c’est une question d’humanité, qu’il importe que cette splendide contrée redevienne le grenier et le jardin de l’Europe, qu’alors seulement la mission providentielle de la France en Afrique sera accomplie. » Toutefois la France se soucie très peu de conquérir la Tunisie, elle n’a pas d’autre but que d’y rétablir son influence, de la mettre à l’abri des fantaisies et des intrigues. Elle l’a bien prouvé en sollicitant Mohamed-es-Sadok de faire cause commune avec elle ; c’était se lier les bras par avance. Il n’a pas entendu raison, il l’a réduite à la nécessité de lui donner une leçon salutaire et de le dégoûter à jamais des conseillers qui le trompent. Elle a le droit d’exiger de lui de sérieuses garanties qui préviennent le retour d’une crise qu’elle n’a pas cherchée, et assurément elle s’en tiendra au nécessaire. Mais nous n’en doutons pas, plus le gouvernement français sera modéré dans ses exigences, plus il sera résolu et énergique dans son action. Un Grec illustre disait jadis à un roi thrace : « Il n’y a de gouvernemens vraiment forts que ceux qui se font croire, parce qu’où les sait résolus à faire tout ce qu’ils disent. Quand ils demandent, leurs prières sont plus persuasives que la violence des autres ; quand ils se fâchent, on redoute plus leurs menaces que les coups des autres ; quand ils promettent, leur parole a plus de poids que l’argent comptant des autres. » La France avait fait autrefois un usage indiscret de sa parole, elle en a porté la peine, on ne prenait plus au sérieux ses demandes, ses menaces et ses promesses. Elle se doit à elle-même de recouvrer tout son crédit à Tunis et ailleurs. Rien n’est plus propre à conjurer les ; complications que la fermeté de la main, mise au service d’une politique modérée.


G. VALBERT.