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Unissez la volonté à l’intelligence, la force à l’ordre, la grandeur à la proportion, vous aurez, comme dit Leibniz, l’harmonie ; mais l’harmonie elle-même, c’est-à-dire ; la force, agissant selon des lois régulières, n’est bonnet et belle que s’il y a des oreilles, des yeux, une sensibilité, une conscience où elle produit du plaisir. Le monde extérieur, si on fait abstraction de tout, être sentant, n’est pas plus beau et bon qu’il n’est coloré, sonore, odorant, suave au goût, etc., ; l’harmonie universelle n’y est plus que le déterminisme universel, c’est-à-dire l’enchaînement des raisons intelligibles qui sont en même temps, des causes efficientes, et cet enchaînement ne devient beau et bon que quand il satisfait notre intelligence et notre sensibilité. Même chez l’homme, si vous considérez la volonté et l’intelligence sans la sensibilité, vous n’aurez plus que hasard ou nécessité ; hasard, si la volonté peut sa soustraire aux lois, de l’intelligence, nécessité, si elle est soumise au déterminisme intellectuel : dans les deux cas, le bien vous échappe.

Ainsi le fond du bien saisissable à l’expérience et à la science : n’est ni dans l’intelligence ni dans la volonté proprement dite, ni dans leur réunion, il est dans le sentiment que la vie a d’elle-même et de son développement L’exercice de l’intelligence devient un bien, en tant, qu’il produit une joie intérieure ; auparavant cet exercice était régulier, logique, vrai, mais non pas bon ; de même pour l’exercice de la volonté : il était d’abord énergique, fort, puissant ; il devient bon en tant que produisant chez nous ou chez les autres une joie intérieure, inséparable du surcroît de vie. Il faut toujours en revenir à la sensibilité, au désir et à la satisfaction du désir, c’est-à-dire au plaisir et à la joie, pour trouver quelque chose qui mérite positivement le nom de bon. Il est bien entendu d’ailleurs que, par la sensibilité, nous ne comprenons pas seulement la sensation et les impressions passives venues du dehors, mais encore, et surtout les sentimens et jouissances intérieures résultant du déploiement actif de la vie. Au fond, la sensibilité est la conscience de la vie même.

Mais la vie, dira-t-on, n’est-elle pas en soi un bien ? — Oui, quand elle se sent et, que ce sentiment est un surcroît, de joie. Demandez aux pessimistes ce qu’ils pensent de la vie : ils croient que la douleur y est plus grande que la jouissance et voilà pourquoi ils la condamnent. Les optimistes, au contraire, l’approuvent ; mais quelle raison positive peuvent-ils en donner, indépendamment de leurs hypothèses métaphysiques ? C’est que les plaisirs l’emportent sur les peines. De même pour L’existence en général, pour l’être considéré abstraitement. L’être est-il bon ? est-il mauvais ? Qui peut le savoir sans le demander à la sensibilité ? Hamlet a beau se dire