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condition, tout moral ou métaphysique, désigne une fin au-delà de laquelle on ne peut plus rien vouloir et qui, condition de toutes les autres fins, est elle-même inconditionnelle ou absolue. Or, la vraie question est précisément de savoir s’il y a une fin qui s’impose à nous avec un tel caractère. — Oui, nous dit M. Janet ; cette fin est « l’excellence de la personnalité humaine. » — Mais pourquoi devons-nous prendre la personnalité humaine pour fin ? Y a-t-il là encore une raison supérieure, une condition supérieure qui explique et justifie ce choix ? S’il y en a une, l’impératif sera en effet conditionnel, et il faudra en chercher un autre plus fondamental ; s’il n’y en a pas, il sera absolu et catégorique. Pour M. Janet, il n’y a pas de raison plus haute à donner de la personnalité humaine prise pour fin que cette personnalité même. « Sois sobre, si tu veux être un homme et non une brute. C’est à cette loi tout entière, y compris la condition, que le devoir nous impose d’obéir, sans avoir besoin d’autre motif que le motif exprimé par la loi. » Parler ainsi, c’est dire que l’impératif qui nous commande d’être hommes n’est pas hypothétique, et cependant M. Janet nous déclarait tout à l’heure que chaque impératif est hypothétique. Entre ces deux assertions, l’une kantienne, l’autre opposée à Kant, il faudrait choisir.

En fait, M. Janet reconnaît dans le respect de la personnalité humaine un impératif soumis à cette condition que la personnalité humaine ne nous soit pas indifférente : « Supposez, dit-il, quelqu’un qui ne tienne point à la dignité humaine, qui ne répugne point à la vie des brutes : l’impératif catégorique n’a plus sur lui aucun pouvoir, et je n’ai aucun moyen de lui faire comprendre la nécessité de pratiquer le bien. » Mais alors nous voilà revenus à une morale toute conditionnelle. Pour y échapper, M. Janet essaie de rétablir par une autre voie le caractère catégorique du respect de la personnalité : il pose ce respect comme une nécessité de la volonté humaine, dont nous ne pouvons pas nous affranchir. De là dans sa doctrine, si nous ne nous trompons, une nouvelle confusion de mots et de choses. M. Janet ne confond-il point maintenant la nécessité naturelle avec la nécessité morale ? « Tout impératif, dit-il, doit avoir une raison, et par conséquent une condition ; seulement, dans l’un des deux cas, la condition est telle que l’on peut toujours s’en affranchir ; dans l’autre, au contraire, elle est telle que l’on ne le peut pas. Fais ceci si tu veux être riche ; mais je puis vouloir ne pas être riche, et, supprimant la fin, je supprime en même temps le moyen. Au contraire : Fais ceci si tu veux être homme. Je ne puis pas ne pas vouloir être homme. » — Que signifient ces mots : Je ne puis pas ? M. Janet veut-il dire que je suis