Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/332

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est véritablement le sang de Jésus que leurs lèvres pressent avec amour. Ce spectacle soulève le cœur. Le moine qui vous accompagne s’empresse de vous offrir un caillou soi-disant arraché au rocher de la grotte. Le rocher serait une carrière qu’il ne suffirait pas, à moins d’un miracle, à l’innombrable quantité de reliques qu’on en tire sans cesse. On s’empresse de fuir, son caillou à la main, ce lieu profane, ou du moins profané. Mais, à peine sorti de la grotte de Gethsémani, on tombe dans le jardin des Oliviers, et la déception est plus cruelle encore. Sept arbres, aux troncs noueux, aux rameaux décharnés, à peine couverts de quelques feuilles et de quelques olives, feraient illusion par leur vieillesse ; pourquoi faut-il que les religieux franciscains qui en sont propriétaires les aient environnés d’un mur blanc sur lequel ils ont disposé des tableaux du chemin de croix, dont les personnages peints en rouge, en vert, en jaune, en violet, ressemblent à de hideuses poupées de cire ? Pourquoi faut-il qu’ils les aient encadrés dans un parterre où toutes sortes de fleurs sont disposées en étoiles, en rosaces, en arabesques, en figures les plus communes, comme dans l’enclos d’un propriétaire de la banlieue ? Pour achever la ressemblance, un moine a la robe retroussée, à la figure réjouie, portant crânement un chapeau de paille sur la tête, un arrosoir d’une main, un sécateur de l’autre, personnage en tous point semblable à ceux que M. Vibert aime à représenter dans ses tableaux, vous prépare un bouquet pendant que vous faites le tour du jardin. Il a soin d’y placer, en guise de tige, une petite branche des oliviers inépuisables. Lorsqu’il vous présente le tout avec une figure souriante, ce n’est pas sans peine qu’on résiste au désir de l’étouffer. Voilà donc ce que des hommes qui se croient chrétiens ont fait du lieu où Jésus s’est rapproché le plus de l’humanité, où il a été faible, hésitant, troublé comme elle, où il a ployé comme elle sous le poids de la douleur ! Une caricature de moine arrose des coquelicots sur la terre que le Christ a arrosée de ses larmes et de son sang ! Jamais sacrilège n’a été à la fois plus bouffon et plus révoltant. Cette flétrissure infligée aux objets atteint les idées qui s’y rattachent et qui ont été hélas ! aussi corrompues qu’eux-mêmes. Que sont devenus les pensées, les sentimens, les principes de Jésus ? N’ont-ils pas été également défigurés et travestis de mille manières ? Est-il plus facile de les reconnaître que les sites où ils ont été révélés à l’humanité ?

Si Jésus redescendait sur la terre et y recommençait une existence nouvelle, les doutes cruels qui assiégèrent son âme durant l’agonie du jardin de Gethsémani s’empareraient de nouveau de lui en présence non-seulement de l’extérieur de Jérusalem, mais de l’état moral de cette ville sur lequel son sang a coulé sans parvenir à la fructifier. Comme au temps de la passion, c’est une