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sous le toit du comte Cajazzo. Les mœurs étaient violentes à Parme et le XVIe siècle avait la conscience large sur ce chapitre. Néanmoins ce meurtre fit scandale et l’on demanda à grands cris la mise en accusation des coupables ; mais ils avaient disparu. On crut qu’ils s’étaient cachés dans le couvent, et la justice de Parme demanda à l’abbesse de lui ouvrir ses grilles pour y faire une perquisition. Pour toute réponse, Jeanne fit barricader les portes et les fenêtres du monastère. A la consternation des religieuses, on y pénétra la nuit par effraction ; mais on ne trouva pas les coupables, qui restèrent impunis.

C’est ce même Montino della Rosa qui recommanda le jeune Allegri à l’abbesse de Saint-Paul. Elle s’était remise de son alerte et menait ouvertement la vie d’une grande dame sans l’embarras d’un mari. Cette femme qui tenait la crosse comme un sceptre savait aussi jouer de l’éventail et soutenir un rôle brillant dans la société. La vivacité de son esprit et sa générosité naturelle lui faisaient pardonner son humeur un peu cavalière et son esprit de domination. Du reste, ce tempérament emporté dut être accompagné d’une imagination riante, d’un goût raffiné. Elle avait un parloir donnant sur la rue et attenant à sa chambre à coucher. Ce parloir, vrai bijou d’architecture, lui servait de salon ; elle y recevait les savans, les poètes et les seigneurs de Parme. Le caprice lui vint d’orner cette chambre d’une peinture mythologique. Della Rosa lui proposa de s’adresser au Corrège, qui vint, quelques mois plus tard, se présenter à l’abbesse. En le voyant, Jeanne dut comprendre le prix du conseil et n’eut pas de peine à s’entendre avec lui. « Allegri, nous dit son pénétrant biographe, était de ces natures qui n’ont pas besoin d’aller au monde pour que le monde vienne à eux. Un mélange de hauteur et de douceur, de fierté naturelle et de grâce ingénue, leur donne un air de supériorité qui attire sans qu’elles y pensent. La sérénité souriante des grandes âmes est chose si rare et si extraordinaire pour les gens du monde, qu’elle leur impose sans les blesser et les charme en les étonnant. C’est ainsi que nous nous représentons Allegri dans ses rapports avec les seigneurs et les grandes dames : affable, souriant, mais quelque peu réservé et se demandant toujours si l’œuvre était bien selon son cœur. Cette fois-ci elle devait l’être. Un rien suffit à l’artiste pour créer tout un monde. Le peintre vit trois lunes dans l’écusson de l’abbesse. Sur ce simple motif qui lui rappelait la déesse grecque, il imagina la Chasse de Diane, et ce signe de la lune croissante évoqua dans son esprit une scène ravissante de mythologie naïve. »

Le parloir de l’abbesse est une chambre voûtée, d’une simplicité et d’une élégance princières. Elle est carrée et éclairée par une seule et large fenêtre. A droite de l’entrée se trouve une ample