Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/346

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Corrège. Voici ce qu’écrivait Annibal Carrache à son cousin Louis : « Tout ce que je vois me confond. Quelle vérité ! quel coloris ! quelle carnation ! Les beaux enfans ! Ils vivent, ils respirent, ils rient avec tant de grâce et de vérité qu’il faut absolument rire et se réjouir avec eux. J’écris à mon frère pour l’engager à venir me trouver ; qu’il vienne et qu’il ne me rompe plus la tête de ses beaux discours et de ses dissertations éternelles. Au lieu de perdre notre temps à disputer, ne songeons qu’à saisir la belle manière du Corrège ; c’est le seul moyen d’humilier nos rivaux. Cet homme a tout puisé dans sa tête ; ses pensées, ses conceptions sont à lui ; il n’a eu d’autre maître que la nature : tous les autres recourent tantôt aux statues, tantôt aux dessins ; ils nous présentent les choses comme elles peuvent être. Le Corrège les offre telles qu’elles sont. Je ne sais pas m’expliquer, mais je m’entends ; Augustin, mon frère, vous dira cela infiniment mieux que je ne pourrais le faire. »

Le fait est que le Corrège a peint les enfans comme personne. Ses bambini plaisent, séduisent, parce qu’avant tout ils sont naturels, vivans. On se rappelle ces jolis enfans qui jouent avec les armes du Saint-George de Dresde et dont l’un essaie de poser le gros casque du chevalier sur sa tête mignonne avec une grâce comique. C’est à propos de ce groupe que Guido Reni disait à un de ses amis qui venait de voir le tableau : « Les enfans du Corrège sont-ils toujours là et ont-ils grandi ? » Allegri a merveilleusement compris la nature enfantine, qui renferme à la fois Cupidon et l’ange, comme l’innocence contient en germe le désir et l’amour. Il a séparé ou mélangé, nuancé et gradué ces deux natures avec une virtuosité qui n’est égalée par aucun maître. Ses enfans sont tour à tour, ou à la fois, candides et insinuans, naïfs et subtils, pleins de malices charmantes et de songeries profondes. Ses anges adolescens rayonnent avec leurs yeux lumineux dilatés et leurs boucles d’or ; quelquefois ils sont tristes et pensifs comme l’Amour.

Les fresques de la chambre de Saint-Paul donnèrent un éclat subit à la réputation d’Allegri. Les commandes lui venaient de toutes parts. Cependant il ne se fixa point à Parme. Son goût pour la retraite, son absence de toute vanité et son attachement pour les seigneurs de Corrège le ramenèrent toujours à son lieu de naissance. Manfredi était mort, Gilbert X lui avait succédé, et sa femme, Veronica Gambara, personne lettrée et célèbre, une des précieuses de l’Arcadie du temps, mais une précieuse aimable et intelligente, avait fait de son château, environné de jardins délicieux, le centre d’une petite académie mondaine. Elle protégeait Allegri, lui procurait des commandes et le traitait en ami de la famille, sur un pied d’égalité. Dans une de ses lettres, elle appelle Allegri « beau, aimable et charmant. » Il n’eût donc tenu qu’au