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Corrège de se faire présenter par elle à Charles-Quint, à l’Arioste, à l’Arétin, au marquis d’Avalos, qu’elle comptait parmi ses hôtes fréquens. Il ne s’en soucia point. Cet homme étrange évitait les puissans de la terre et les dispensateurs de gloire dont tout le monde se disputait la faveur et qui d’ailleurs lui ressemblaient si peu. Il voulut par pure reconnaissance pour sa dame protectrice orner sa villa de fresques. Mais lorsqu’il traversait ces beaux jardins pour se rendre à son travail, lorsqu’il apercevait sous un massif de chênes verts au feuillage sombre, lustré par la poussière des jets d’eau, ce groupe de gens illustres, il passait sans s’arrêter. Il préférait sans doute les oiseaux, les belles fontaines de marbre, les statues solitaires, les échappées riantes sur la campagne et surtout les images qui flottaient dans son esprit.

Si nous voulons nous le figurer dans ces momens, il faut regarder le portrait à fresque qu’il a peint de lui-même et qui se trouve dans l’intérieur du dôme de Parme au-dessus de la porte d’entrée. Voici la description psychologique qu’en donne son biographe : « Le buste se détache en profil dans la pénombre. On dirait un homme appuyé au mur et plongé dans une méditation profonde. Il est vêtu d’une ample robe à larges manches de couleur claire et dont la négligence rappelle l’artiste au travail. Le visage ovale, légèrement incliné, d’une expression rêveuse et d’une haute distinction, est celui d’un esprit supérieur qui vit en communion intime avec le beau et le bien. Son vaste front, ses traits fins et fondus ont la suavité et la simplicité grandiose des marbres grecs. Le nez aquilin, aux narines mobiles, est d’une finesse et d’une noblesse rares ; les lignes de la bouche, à demi cachée dans l’ombre de sa barbe, le regard tourné au dedans et comme voilé d’un songe : tout dans sa physionomie exprime un sentiment de douceur ineffable et de merveilleuse harmonie. Cette tête pensive et sereine est uniquement occupée de sa vision intérieure, le monde du dehors n’y a laissé aucune empreinte. La grandeur de la pensée s’y mêle à une candeur d’enfant, à la timidité touchante du songeur. Cet être a un je ne sais quoi qui n’est pas de ce monde. »

C’est ici que se place le roman de sa vie, roman bien simple, puisqu’il s’agit d’un mariage et d’un mariage heureux. Il est vrai que les circonstances intimes qui l’accompagnèrent l’entourent d’une vive auréole. Pungileoni rapporte les faits, il faut deviner le reste. Jéromine Merlini était fille unique d’un écuyer du duc de Mantoue. Devenue orpheline à quinze ans, elle tomba dans une mélancolie noire qui la fît décliner à vue d’œil. C’était une de ces natures exquises et frêles qu’un souffle replie sur elles-mêmes et qui soupirent après une autre existence, ne trouvant dans celle-ci ni paix ni satisfaction, mais plutôt ennui et dégoût. Le mirage d’une autre