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une meilleure organisation sociale à l’intérieur et des voies, de communication faciles à l’extérieur.

Placées aux mains d’une puissance civilisée qui saurait s’en assurer l’accès exclusif et les vivifier par un protectorat intelligent et pacifique, ces riches contrées ne tarderaient pas à constituer un empire colonial plus important que ne le sont les Indes orientales aux mains des Anglais, qui par le développement progressif de ses échanges assurerait la prospérité matérielle de la métropole en même temps qu’il réaliserait, au point de vue humanitaire, une des plus grandes conquêtes que la civilisation ait jamais remportées sur la barbarie.

Une telle perspective a lieu de nous séduire. Elle explique comment l’idée du Transsaharien, dépouillant rapidement sa première enveloppe de chimérique utopie, avait pu s’imposer à nous comme une question des plus sérieuses. En ce moment, il est vrai, cette idée a perdu du terrain. On paraît vouloir la rendre responsable de fautes qui ont été commises en son nom. Des désastres inattendus, bien qu’il eût été facile de les prévoir, ont marqué nos premières tentatives. Les revers de nos colonnes expéditionnaires dans le Sénégal et plus encore le massacre de la mission Flatters, au centre du Sahara, ont singulièrement refroidi l’opinion. On dirait qu’un mot d’ordre a été convenu dans la presse pour parler le moins possible de ces douloureux événemens, comme si le silence pouvait en effacer la trace et dégager notre responsabilité.

Au double point de vue du présent et de l’avenir, la question du chemin de fer transsaharien n’a pourtant rien perdu de son importance, et sous peine de nous voir devancer et de laisser prendre par d’autres la magnifique position qui nous est offerte, nous ne saurions négliger beaucoup plus longtemps de nous en occuper. En tout cas, il est des responsabilités qui s’imposent, et le massacre de la mission Flatters est un de ces faits qui ne pourraient rester impunis, sans porter une grave atteinte à notre autorité matérielle et à notre prestige moral, non-seulement dans le continent africain, mais parmi les peuples civilisés qui nous entourent.

La répression directe, immédiate, de cet abominable forfait présente, sans doute des difficultés matérielles considérables. Pour beaucoup moins, les Anglais n’ont pas reculé devant les dépenses et les périls de l’expédition d’Abyssinie. Mais en allant, à travers un pays inconnu, atteindre et frapper au centre de ses forces le roi barbare qui l’avait insultée, l’Angleterre, était certaine de porter un grand coup dont le retentissement attesterait au. loin et pour longtemps son irrésistible puissance.

Nous n’avons plus le même objectif, en face d’un ennemi qui nous échappe par sa faiblesse, même, plus encore que par l’immense