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producteurs agricoles, c’est-à-dire à faire monter énormément le prix du pain, de la viande et du reste en France.

Les taxes douanières n’ont donc rien d’exceptionnel qui les place hors du droit commun. La protection peut être nécessaire, utile ou onéreuse ; mais qu’on en fasse profiter également chacun et que tout le monde en supporte l’inconvénient.

La liberté des échanges peut être aussi un grand et avantageux procédé ou un système contestable ; mais qu’il s’applique à tous indistinctement et qu’on n’allègue pas que la liberté des échanges serait détruite ou compromise parce que l’échange paierait l’impôt. Toutes nos libertés d’ordre civil sont imposées. La liberté de posséder la terre et les maisons est imposée sans que le droit de propriété soit en péril ; la liberté de location, celle d’ouvrir boutique ou de fabriquer, la liberté d’hériter, celle de vendre ou d’acheter des biens fonds ou mobiliers, sont à coup sûr assez fortement taxées de droits de patentes, de mutation et de succession.

Ces libertés se trouvent-elles niées, détruites ou contestées parce qu’elles sont soumises à des contributions ? Nullement. S’il n’y a de libres que les individus et les choses exemptes d’impôt, rien ni personne n’est libre. Pourquoi donc un impôt sur l’échange international serait-il plus contraire à la liberté que l’impôt sur les transactions à l’intérieur du pays ? Si c’est un crime d’imposer les blés américains sur le sol français, ainsi qu’on l’a tant dit après Michel Chevalier, comment est-ce une vertu d’imposer si lourdement les blés français en France ?

En résumé, la question de droit n’est pas douteuse : l’égalité est le fondement de la loi commune ; chez nous, ce grand principe doit trouver son application raisonnable dans la législation douanière comme dans toute autre. C’est un droit indiscutable pour le gouvernement de frapper des taxes d’importation, comme pour l’agriculture en détresse d’en réclamer. Faut-il appliquer ce droit en tout ou partie ? Ceci est une autre question. Mais si l’on n’applique pas ce droit, à quoi bon se donner la peine d’en discuter les bases et la valeur légale, demandera-t-on. Pour la raison suivante, qui ne laisse pas d’avoir une grande importance.

Une fois le droit bien établi, dès qu’on l’abandonne en tout ou partie, ; on reste incontestablement fondé à réclamer une indemnité ou une compensation équivalente qui ne saurait être refusée, et c’est ce que nous faisons, comme on le verra dans la suite de cette étude.

Quoi qu’on dise, il est difficile de ne pas reconnaître que les intérêts agricoles sont fort en souffrance. On voulait se persuader et persuader au pays que cela se passerait tout seul ; mais il a fallu