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sa maîtresse. On eut alors l’idée cruellement ingénieuse de faire servir La Vallière à couvrir les amours du maître et de la nouvelle favorite. C’est le secret de la vie quasi commune à laquelle désormais on va les voir toutes deux pendant six ans astreintes ; c’est le secret de la disposition même de leurs appartemens, qui se commandent, pour que l’on puisse dire du roi qu’il va chez les dames, façon de parler qui passe en coutume, et qui dispense de toute explication[1] ; c’est le secret de ces actes qu’on les voit signer en commun chez un notaire, où Mme de Montespan conclut marché « pour quatre grottes à faire et parfaire bien et dûment, comme il appartient, le tout en biens appartenant au château vieil de Saint-Germain-en-Laye ; » c’est le secret de la présence de La Vallière en qualité de marraine au baptême de Louise-Françoise, fille de Mme de Montespan ; c’est le secret encore des obstacles que mettront Louis XIV et Mme de Montespan à la retraite de La Vallière jusqu’au jour où la séparation de corps prononcée définitivement entre la marquise et son mari d’une part, et de l’autre la situation des enfans royaux tant bien que mal régularisée, permettront au maître, qui semble de loin si puissant, de n’avoir plus rien à craindre des vengeances ou des algarades d’un Montespan mal complaisant ; et c’est le secret enfin de cette fuite de La Vallière au couvent de Sainte-Marie-de-Chaillot, où Colbert ira la reprendre, avec ordre formel d’agir d’autorité, s’il le faut. Là-dessus Mme de Sévigné plaisante agréablement : «  A l’égard de Mme de La Vallière, nous sommes au désespoir de ne pas pouvoir vous la remettre à Chaillot, mais elle est à la cour beaucoup mieux qu’elle ne l’a été depuis longtemps ; il faut vous résoudre à l’y laisser. » Voilà des plaisanteries qui viennent tout à fait en leur temps.

Il ne faudrait pas pourtant exagérer, et l’on est forcé d’avouer que La Vallière semble avoir assez aisément pris son parti de cette situation, singulière autant qu’humiliante. Lorsqu’on effet, en 1669, Louvois eut trouvé le moyen d’impliquer le marquis de Montespan dans une bonne affaire, bien grave, qu’il l’obligea de s’enfuir en Espagne, il semble que la marquise et le roi fussent ainsi débarrassés de toute contrainte et n’eussent plus besoin de La Vallière comme d’un prétexte, — le mot est de Bussy-Rabutin, bon juge en ces matières de haute galanterie. M. Lair ici prétend, il est vrai, « que cet abominable abus d’autorité (l’inculpation arbitraire dirigée contre Montespan), loin de dissiper les craintes du roi et de sa maîtresse, les surexcita. » Mais j’avoue que je sens quelque peine à l’en croire et que ses argumens ne m’ont pas convaincu tout à fait. Je ne vois pas bien comment Montespan, proscrit

  1. Même quand la cour se déplace, on a soin de tenir la main à cette disposition commode. Louvois écrit à l’intendant de Dunkerque : « Mme la duchesse de La Vallière logera dans la chambre marquée Y, et à laquelle il faut faire une porte dans l’endroit marqué 3 pour qu’elle puisse aller à couvert dans la chambre de Mme de Montespan. »