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cœur, il admire la grande miséricorde de Dieu envers moi et il me conseille fortement d’exécuter la volonté de Dieu promptement. » C’est à ce moment que le bruit de sa prochaine retraite se répandit.

A la nouvelle, Mme de Montespan fut irritée d’abord, puis effrayée. « Mme la duchesse de La Vallière, écrivait Bossuet, le 21 décembre, m’a chargée de traiter le chapitre de sa vocation avec Mme de Montespan. J’ai dit ce que je devais, et j’ai autant que j’ai pu fait connaître le tort que l’on aurait de la troubler dans ses bons desseins. On ne se soucie pas beaucoup de la retraite, mais il semble que les carmélites font peur. » En effet, c’était un terrible précédent que l’on allait laisser là s’établir. Aussi paraît-il bien que Mme de Montespan ne s’épargna pas pour mettre obstacle aux projets de la future carmélite. « Le monde lui a fait de grandes traverses, » dit Bossuet, encore quelques jours plus tard, et l’année suivante, en 1674 : « La retraite de Mme de La Vallière aux carmélites leur a causé bien des tempêtes : il faut qu’il en coûte pour sauver des âmes. » Louis XIV, qui lui non plus ne goûtait pas beaucoup cette résolution, laissait faire, affectait d’ignorer et semblait attendre que Mme de La Vallière elle-même lui communiquât son dessein. C’était une dernière mortification qu’elle répugnait à subir et qu’elle remettait de jour en jour ; ce fut sans doute au commencement de mars qu’elle eut la force de s’y résoudre, un mois à peine avant d’entrer aux carmélites, et seulement quand elle se crut assurée du consentement de Louis XIV. Le 20 avril, faisant ses visites d’adieux, elle vit le maître, comme elle l’appelait encore, pour la dernière fois. Le lendemain, accompagnée de ses deux enfans, au sortir de la messe, elle montait en carrosse, et quelques heures plus tard les portes du célèbre couvent des grandes carmélites se refermaient sur elle. Elle prit l’habit moins de deux mois plus tard, le 2 juin 1674, et fit profession l’année suivante, les 3 et 4 juin 1675. Fromentières, évêque d’Aire, prêcha la vêture, et Bossuet la profession. Elle devait vivre trente-six ans dans le cloître. Morte au monde à dater de ce jour, elle est aussi morte à l’histoire. Le détail de ses macérations, qui risquerait peut-être de faire sourire les sceptiques, ne leur appartient pas. Une seule chose peut-être les intéressera, c’est de savoir que dans ce cœur profondément atteint la paix fut longue à se faire et le calme lent à renaître. « Aimer Dieu ardemment et oublier tout le reste ! Ah ! monsieur le maréchal, écrivait-elle à Bellefonds, ce serait trop agréable ! »

Nous avons librement suivi, dans les pages qui précèdent, le livre de M. Lair, mais nous n’avons pas la prétention de l’avoir résumé. C’est qu’il abonde, en effet, de détails de toute sorte, dont nous n’avons pu sauver que quelques-uns dans une aussi rapide analyse, et que comme dans une œuvre combinée pour le plaisir de l’imagination, vous n’y rencontrez pas un personnage dont l’auteur ne se soit imposé l’obligation