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redoutables conséquences d’une crise nouvelle toujours possible, « cela changerait le cours de toutes nos idées et nous ferait regarder d’un autre œil les querelles des partis. » Rien certes de plus patriotiquement vrai, et c’est aussi à cette mesure qu’il faut juger la politique intérieure dans un pays où l’on ne peut sans doute rêver la concorde universelle, mais où l’on devrait du moins s’arranger pour qu’il n’y eût pas d’irréconciliables hostilités, d’irréparables scissions. Croit-on que lorsqu’on livre des traditions respectées et des croyances sincères à des passions de secte, lorsqu’on fait de l’enseignement public un instrument de propagande dans un intérêt de parti, lorsque sous prétexte de sauvegarder la république on procède par toute sorte d’exclusions, lorsqu’on divise la nation en deux camps, ceux qui ont la faveur du pouvoir régnant et les suspects, croit-on qu’on ajoute beaucoup aux forces de la France et qu’on fait ainsi une œuvre nationale ? Non, en vérité, la politique intérieure comprise de cette manière ne serait pas le moyen le plus efficace de préparer le pays à faire face aux épreuves qui peuvent lui être réservées, à ce péril national que M. Raoul Frary décrit avec autant de vigueur que d’élévation dans ces pages dignes d’être méditées. A procéder ainsi, on flatte des passions dont on se promet l’appui pour garder la domination, on ne fait pas de la politique sérieuse. On risque de ne pas fortifier la France, et on ne sert même pas utilement la république, qu’on réduit à paraître un régime de parti ou de circonstance.

Il faut en convenir, si la république n’avait, pour l’accréditer et lui assurer un avenir, que les républicains qui prétendent la représenter exclusivement, elle aurait déjà couru plus d’une fois d’étranges hasards. Depuis qu’elle existe, elle a passé par un certain nombre d’épreuves qui n’ont pas été sans danger ; elle a été compromise dans de singulières campagnes. La république a contre elle les républicains qui se figurent que la politique nouvelle consiste à tout ébranler par des réformes décousues, à inquiéter les croyances, à menacer la magistrature, l’église, les chefs de l’armée, à disposer de toutes les fonctions au profit d’une clientèle de parti ; elle a contre elle les républicains du conseil municipal de Paris, qui ne rêvent qu’autonomie communale et conflits avec le gouvernement, qui ne peuvent arriver à comprendre que la sûreté de l’état représentée par la préfecture de police ne soit pas à leur merci ; elle a contre elle les républicains qui, sans être insensibles à la raison, n’osent résister aux fantaisies, aux propositions désorganisatrices, et qui, sous prétexte de transaction, sont toujours prêts à livrer une loi ou une tradition administrative ou une garantie ou un intérêt moral. La république, heureusement pour elle, a une chance ; elle a des ennemis qui la servent souvent beaucoup mieux que ses dangereux amis. Quand elle commet des fautes, elle trouve à propos des adversaires qui viennent la remettre en équilibre, et c’est justement à cette œuvre méritoire