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que des ennemis. Richelieu voulait se servir de lui plutôt que le servir, fit il n’est pas douteux qu’il hésita longtemps avant de s’engager avec un prince qui avait pris la foi protestante sous sa protection. Il avait reconnu dans le roi de Suède un instrument qui pouvait servir contre la maison d’Autriche ; il l’engagea à faire sa paix avec la Pologne et contribua puissamment à faire aboutir les négociations qui mirent fin à la lutte entre Gustave-Adolphe et Sigismond.

Il importe de bien faire ressortir quelle fut exactement la nature des rapports entre le cardinal et le roi de Suède. Hercule-Gérard de Charnacé, d’une famille parlementaire bretonne, avait été très jeune un des gentilshommes de la maison de Richelieu ; il avait épousé une demoiselle de la maison de Brézé, alliée à celle du cardinal. Ayant perdu sa femme, il chercha une distraction dans les voyages, visita Constantinople et une partie de la Russie. Il vit Gustave-Adolphe dans son camp, et à son retour par la à Richelieu avec admiration du roi de Suède et de son armée. Richelieu envoya Charnacé vers Gustave-Adolphe en 1628 et une seconde fois en 1629. Charnacé se tira fort bien de sa négociation ; il travailla à amener le roi de Suède à faire sa paix avec la Pologne et à entrer en lutte contre la maison d’Autriche. Le 26 septembre 1629, un armistice de six ans fut conclu entre Sigismond et Gustave-Adolphe. Aux termes de cet armistice, les Suédois gardaient la Livonie et conservaient les deux tiers des droits de douane prélevés dans la ville de Dantzig, déclarée neutre.

Gustave-Adolphe avait désormais les mains libres : il voulait faire la guerre à l’empire, entraîner avec lui le Danemark, les villes de la Hanse, les villes impériales, plusieurs princes d’Allemagne. Charnacé avait déjà beaucoup travaillé à échauffer son imagination ; il lui avait dit que tous les cœurs voleraient à sa rencontre, s’il entrait en Allemagne, que les Allemands attendaient un libérateur comme les Juifs attendaient le Messie, que les bandes de Wallenstein et de Tilly avaient rendu odieux jusqu’au nom de l’empire, que tout était possible à qui oserait se jeter en Allemagne. Gustave-Adolphe ne se dissimulait point les périls de l’entreprise ; il ne faisait point fi des armées de Tilly et de Wallenstein, il ne comptait guère sur les princes allemands, il craignait la ligue des princes catholiques, il savait que la Suède était contraire à son entreprise jusque-là qu’il ne pouvait plus réunir la diète, tant il craignait de trouver de l’opposition chez ses sujets, d’ordinaire si obéissans. Wallenstein et Tilly avaient 160,000 hommes ; il n’avait lui-même que 35,000 hommes, et il était contraint d’en laisser 9,000 à Stralsund et 10,000 en Prusse. Il dissimulait le chiffre exact de ses troupes dans ses négociations avec la France.