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négociait avec Richelieu. Vis-à-vis des princes allemands, sa politique était des plus simples ; il ne voulait pas entendre parler de neutralité, il fallait être pour ou contre lui. Qui osait braver l’empire ne pouvait ménager les petits princes ; comme général, il avait besoin de la liberté de ses mouvemens, il devait assurer ses lignes de communication ; il ne pouvait laisser derrière lui des neutres indécis ou hostiles ; ce roi pirate avait des mots d’une expressive éloquence ; en refusant de se dessaisir d’une province, il disait : « Mes mains ont des yeux, elles croient ce qu’elles voient. » Il connaissait bien le caractère des électeurs ; après s’être assuré, sans coup férir, des bouches de l’Oder, il se porte devant Stettin, la capitale de la Poméranie : le duc Bogislas arrive à son camp, porté dans une litière. Le roi lui dit qu’il connaissait la faiblesse de la place et montrant quelques femmes aux fenêtres du palais ducal : « Tous ces beaux défenseurs ne tiendraient pas trois minutes devant une compagnie de mes fantassins de Dalécarlie. » Bogislas offrit sa neutralité. Gustave lui répondit avec colère qu’il fallait être pour ou contre lui. « J’ai sauvé, dit-il, la ville de Stralsund par la grâce de Dieu ; j’offre d’affranchir vos états des voleurs et des brigands, et quand ce sera fait, je vous les rendrai, » et comme le duc Bogislas, déjà âgé de cinquante ans, n’avait point d’enfant, il ajouta : « Je vous prie de faire mieux à l’avenir dans votre mariage ; autrement je vous supplierai de m’adopter pour votre fils et héritier. » Le duc Bogislas se résigna, Stettin fut occupé., le roi de Suède refusa de loger au château et resta dans la cabine d’un bateau sur l’Oder. « Un manteau doublé de fourrures pour les généraux, disait-il, de la paille pour les soldats, sont de fort bons lits pour les sujets d’un roi qui dort dans un hamac. »

Le roi fit aussitôt travailler toute son armée à remettre en bon état les fortifications de la ville, et fit signer au duc un traité d’alliance perpétuelle, dans lequel il se substituait en quelque sorte à tous les droits de l’empereur. Non-seulement ce traité lui livrait la Poméranie dans le présent, il préparait dans l’avenir la suzeraineté du roi de Suède sur cette province. L’infortuné duc n’en écrivit pas moins à l’empereur une lettre pour excuser sa conduite et pour protester de sa fidélité. Il le priait de rappeler ses troupes, qui commettaient toute sorte d’excès : les impériaux brûlaient tout, massacraient les paysans ; le feld-maréchal Torquato Conti, qui commandait les troupes de l’empereur dans le Nord, sur les bords de la Baltique, dans les provinces voisines de la Poméranie, dans le Mecklembourg, dans la Silésie et dans la marche de Brandebourg, donna ordre de mettre à mort tout Poméranien qui prendrait du service avec les Suédois. Conti avait disséminé ses troupes dans des