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est fort inquiétant[1]. On en connaît généralement les conclusions et les pronostics peu rassurans. Le rapport de M. Caird, cité et commenté par le Spectator de Londres et par la Nation de New-York (9 décembre 1880), n’est pas moins alarmant pour l’Angleterre et pour l’Europe.

M. Caird, dont la compétence et l’autorité dans toutes les questions agricoles est incontestée de l’autre côté de la Manche, juge que la lutte agricole est à peu près impossible entre les États-Unis et les vieux états d’Europe écrasés d’impôts et de charges de tous genres. Dès le mois de septembre dernier, dans un seul district d’un comté anglais, on a pu constater la liquidation et la vente plus ou moins forcée de cent matériels et attirails de fermes de la contenance totale de 55,000 acres de terre (22,000 hectares au moins). Partout des fermes rendues aux propriétaires. Au-delà d’un rayon de deux milles autour des villes populeuses, on voit des centaines d’acres de terres argileuses dont pas un sillon n’a été retourné depuis deux ans. La baisse de la valeur foncière des terres serait déjà de 25 pour 100, et la perte du revenu agricole de moitié. Il en résulte que beaucoup de moyens et de petits propriétaires ont été obligés de quitter leur demeure et d’aller vivre d’économies et de privations pour la plupart sur le continent.

Aussi l’avenir semble menacer de grands changemens dans l’organisation agricole et foncière en Angleterre, et quoi qu’on fasse, il faut y prévoir de grandes pertes. M. Caird croit que par suite de l’ensemble de la situation, la question territoriale et agricole en Angleterre et en Irlande se résume en une tendance modérée, à supprimer ou plutôt à réduire en nombre ce qu’il appelle la classe ornementale de la société, classe qui contribuait peu à la production générale, mais dont les représentans rendaient d’importans services gratuits au point de vue représentatif et législatif. Car, malgré certaines périodes de corruption, c’est par son indépendance de fortune, par son sens et par sa probité politiques que cette classe a rendu possibles et fondé la pureté et l’incorruptibilité présente des institutions politiques de la Grande-Bretagne.

« De nos jours, la complication extrême des combinaisons et des questions politiques et sociales, la nécessité de hautes capacités spéciales et techniques chez les gouvernans, d’autre part l’entraînement vers les plaisirs, ont amoindri les services de cette classe ornementale et l’ont réduite à être un objet de luxe dispendieux et sans compensation suffisante. » En outre, le fermier anglais ne veut plus ou ne peut plus payer des fermages aussi élevés que par

  1. Journal d’agriculture de M. Barral, 22 janvier 1881, page 137, et le Bulletin de la société des agriculteurs, traduction de M. Dudouy.