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II

Miss Frances Power Cobbe, dans une des conférences récemment publiées par elle[1], se plaint amèrement de la façon cavalière dont la question de la femme est traitée au parlement anglais. Elle compare les facéties auxquelles est exposé son sexe toutes les fois qu’il s’agit de discuter ses droits, à cette récréation, fort en honneur dans l’ancienne Angleterre, qui consistait à cingler de coups de fouet un ours aveugle et incapable de prendre sa revanche, vu qu’il était enchaîné. La comparaison manque peut-être de justesse, au moins dans l’un de ses termes ; elle ne peut en aucun cas s’appliquer à M. Mac-Carthy. Le brillant romancier n’est pas de ceux qui renvoient dédaigneusement la jeune fille et la mère de famille aux soins du ménage, en leur défendant, avec les hautes pensées dont parle Wordsworth, les jouissances de l’esprit et les raffinemens de l’éducation intellectuelle. Sa satire ne vise que l’exagération des sentiments et de la culture, et il en vient à conclure, comme miss Cobbe elle-même, que, pour la femme, les devoirs personnels ne doivent jamais être sacrifiés aux devoirs sociaux. Mais, avant tout, M. Mac-Carthy fait sans parti-pris son métier de romancier. Il n’écrit pas pour exposer des théories audacieuses ou nouvelles. Si la condition de la femme dans la société moderne l’intéresse, elle ne le préoccupe pas exclusivement ; et comme il ne cherche pas à résoudre par une formule toute faite les difficultés qu’elle soulève, il éprouve, au jeu des passions et des caractères, la curiosité d’un observateur impartial, pour ne pas dire un peu sceptique.

C’est dans Donna Quixote que ce plaisir délicat a trouvé son expression la plus heureuse. C’est là que viennent se rencontrer, au milieu d’une intrigue animée sans être invraisemblable, quelques-unes des figures les plus attrayantes que l’auteur ait entrevues dans une société riche en originaux. Le roman tient presque en entier dans le récit des expériences d’une jeune femme qui a voulu faire le bien sans avoir égard aux convenances, aux usages et aux préjugés du monde, sans prendre d’autre règle de conduite que les impulsions d’un cœur débordant de bienveillance pour tout ce qui est généreux, pauvre, fier et persécuté. Gabrielle Ronalds a épousé par pitié un mourant qui a survécu trois jours à son mariage. La

  1. The Duties of Women : a course of Lectures, by Frances Power Cobbe, London ; Williams.