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partie d’Henri VI. Le premier est dévoué au bien du royaume et à la gloire du roi, tandis que le second ne songe qu’à s’emparer du pouvoir pour en jouir. Après, les plus violentes querelles, sur un seul mot du roi, Glocester tend loyalement la main à son ennemi, tout prêt à pardonner et à oublier, si on lui demande de le faire au nom de la paix publique ; son désir de réconciliation est sincère et absolu ; l’évêque de Winchester n’accepte, au contraire, la main qu’on lui tend que la rage dans le cœur et avec l’espérance de se venger un jour.

Tels nous les avons vus tous deux dans la première partie, tels nous les retrouvons dans la seconde, avec l’opposition de leurs sentimens et de leurs caractères. Le mariage du roi et la paix onéreuse conclue avec la France inspirent au duc de Glocester une douleur patriotique qui s’exprime dans le plus noble langage : « Braves pairs d’Angleterre, s’écrie-t-il, le duc Humphroy doit vous découvrir sa douleur, une douleur qui est vôtre, qui est la douleur commune du pays tout entier. Quoi ! est-ce donc pour cela que mon frère Henri aura dépensé sa jeunesse, sa valeur, son argent, son peuple dans la guerre ? » Tout ce qui lui est personnel s’efface devant la considération du, malheur public ; il ne songe pas un moment à lui ; il ne songe qu’à l’Angleterre amoindrie et déshonorée. Winchester n’a pas une parole de sympathie pour s’associer à cette tristesse générale, il s’étonne du langage de Glocester et, après que celui-ci a quitté la salle, il le dénonce comme un ennemi public. Tous deux restent jusqu’au bout fidèles à eux-mêmes : Glocester dans l’accomplissement d’un de voir patriotique, dont la condamnation et l’exil de sa femme ne peuvent le distraire, Winchester dans la poursuite de projets ambitieux qui aboutissent au crime et à l’assassinat.

Le faible Henri VI de la seconde et de la troisième partie n’est-il pas celui qui nous a révélé sa faiblesse dans la première partie, aux premiers mots qu’il prononce, lorsqu’au lieu d’ordonner et de parler en roi, il supplie ses oncles de se réconcilier pour le bien du pays ? Sa bonté n’est-elle pas déjà une bonté de dupe, lorsqu’il rétablit l’ambitieux qui doit le détrôner, Richard Plantagenet, dans la dignité et dans les biens de la maison d’York ? Il ne sait pas étouffer à sa naissance la querelle des deux Roses ; il proteste de son égale amitié pour York et pour Somerset, de même qu’il protestera plus tard de son attachement pour le duc de Glocester et de sa confiance en lui, au moment où il le laisse arrêter et assassiner par des traîtres. Dans la trilogie tout entière, c’est bien le même homme qui, suivant l’énergique expression de Shakspeare, abandonne ses amis, comme on livre « le veau aux mains du boucher. » Comme le pays