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riche, les horizons ouverts à l’artiste plus variés. Ces observations qui s’appliquent avant tout à l’architecture ne pouvaient trouver leur place ni leur développement lorsque nous parlions de cet art : dans l’exposition des architectes, une part trop faible est faite à la construction. Mais ici nous allons voir la matière à l’œuvre, et ce que nous expliquons sera plus facilement compris.

Le marbre, malgré sa valeur vénale, entre dans la construction des édifices : on le trouve en masses considérables : dans le monde gréco-latin, il est par excellence la matière monumentale. C’est aussi le calcaire auquel on compare, pour en définir les qualités, toutes les pierres dont la sculpture doit tirer parti. Avec sa blancheur, la finesse de son grain, sa transparence, il se prête à rendre toutes les délicatesses du modelé. Il donne toute la gamme du clair-obscur : les lumières, les ombres et dans l’intervalle la variété infinie des demi-teintes. La morbidesse des chairs, la souplesse des étoffes, les détails infinis de la vie, il les traduit et il les nuance ; mais quelque chose nous dit que malgré sa dureté il est fragile : l’expérience nous l’apprend. Avec sa belle cristallisation, sa ténacité n’est pas extrême. Les évidemens, les refouillemens que l’on pratique dans sa masse, peuvent accroître l’effet d’une œuvre et intéresser à titre de difficultés vaincues, mais ils compromettent sa solidité et inquiètent sur sa durée : ils lui font perdre une partie de sa virtualité native. Une statue veut paraître tirée d’un bloc, et si le marbre réclame un travail d’une grande perfection, il demande aussi qu’on lui conserve le caractère d’une substance qui, par destination, résiste à l’homme et au temps. De quel ordre serait une œuvre dans laquelle l’idée du marbre disparaît si bien qu’on la dirait coulée dans un moule comme de la porcelaine ? Le marbre a sa dignité, il a ses susceptibilités : il aime à montrer que, s’il a été vaincu, il y a eu lutte, et que, s’il y a chef-d’œuvre, il y a mis du sien.

Le repos, les sentimens durables, qu’ils soient rians, tristes ou concentrés, les actions qui n’impliquent qu’à peine le déplacement du sujet, voilà ce que le marbre comporte et ce dont il faut tenir compte quand on veut le faire parler ; en même temps que, pour y établir la composition, on doit l’inscrire dans des lignes stables qui, comme celles de la pyramide, donnent l’idée de solidité.

L’instinct et la logique se trouvant ainsi satisfaits, quelle jouissance ne goûte-t-on pas dans la contemplation d’un beau marbre ? Et en est-il un qui soit plus attachant que la Mort d’Alceste, envoyée par M. Allar au Salon ? Il y a deux ans, lorsqu’on en vit le modèle, on ne manqua pas de le remarquer, et le sentiment général, d’accord en cela avec la pensée du sculpteur, fut que l’ouvrage