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O la tristesse de Beaumarchais, quelle invention merveilleuse ! et de Beaumarchais représenté par son favori Figaro ! Pourquoi donc, s’il vous plaît, appelle-t-il sa pièce la Folle Journée ? Est-ce seulement pour en diminuer l’importance et donner le change aux censeurs ? Lui-même a traité cette pièce « d’opuscule comique ; » pis encore, de « bagatelle. » Il a relégué de tout temps le théâtre « dans la classe de ses amusemens ; » ce n’est « qu’à la dérobée » qu’il se livre au goût de la littérature ; il « se délasse des affaires avec les belles-lettres, » comme « avec la belle musique et quelquefois les belles femmes ; » il assiste à la première représentation de sa pièce dans une loge grillée, après un dîner fin, entre deux abbés disposés à « rire avec lui de ses chagrins, » car, leur a-t-il dit, « je n’en accepte qu’à ce prix ; » et plus tard il écrira, en manière de testament : « N’aimant pas le loto, j’ai fait des pièces de théâtre ; mais on disait : De quoi se mêle-t-il ? » On disait bien plutôt : « De quoi ne se mêle-t-il pas ? » Mais lui pouvait répondre, justement comme son barbier : « Que vous en chaut si je m’en démêle ? » Et, de fait, il se mêlait et se démêlait de bien des choses, et de diplomatie secrète, et de chicane, et de finances beaucoup plus que de littérature et de théâtre, ce bizarre personnage dont le chevalier d’Éon écrivait : « Nous nous vîmes tous deux, conduits sans doute par une curiosité naturelle aux animaux extraordinaires de se rencontrer. »

Il parle donc de son œuvre avec une modestie sans feinte, lui ce fat, ce fanfaron, ce « forfantier ; » il ne s’y attache guère que par entêtement d’amour-propre, et comme lui-même ne s’en exagère pas l’importance, il ne sent, au vrai, que médiocrement, le besoin de la diminuer aux yeux d’autrui. « La Folle Journée » cependant ? .. Est-ce pour marquer le caractère de l’ouvrage ? « Le public, dit aujourd’hui M. Dumas, acceptera toutes les philosophies du monde, pourvu que ce soit Polichinelle qui les lui dise ; » et justement Sedaine écrivait à Beaumarchais qu’il y avait dans sa pièce « une philosophie de Polichinelle. » Beaumarchais, dans sa préface, demande qu’on lui « passe un peu de morale en faveur de sa gaîté, » et il choisit pour épigraphe à son œuvre ces deux vers du vaudeville qui la termine ;

En faveur du badinage
Faites grâce à la raison.


C’est qu’en effet il fallait tout le charme de la gaîté, non-seulement pour sauver la pièce auprès des puissances du jour, mais pour la recommander même à cette puissance autrement durable et perspicace du public. Pour nous-mêmes Figaro devient insupportable s’il se prend au grand sérieux, s’écoute et se guindé ; ses tirades alors prennent l’air de morceaux choisis et ses bons mots de citations : ce flot de plaisanterie brûlante se ralentit et se refroidit pour charrier dignement des maximes