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politiques : tirons-leur notre chapeau quand elles passent, et fuyons bien vite ; quittons lestement ce farceur morose : « Ces gens-là, comme écrivait Beaumarchais à la comtesse d’Albany, ne sont bons qu’à parler révolution. »

Ainsi donc, c’est pour sauver son œuvre que Beaumarchais l’a faite si divertissante et folle ? Nous n’y sommes pas encore. Il est bien vrai que la gaîté sauve la pièce et la pare ; mais ce n’est point ici une application de gaîté faite après coup sur une morale, comme est mise par le droguiste la dorure sur la pilule. Beaumarchais n’est point gai de propos délibéré, pour les besoins de sa besogne, d’une gaîté d’auteur. Aussi bien, cette gaîté-là, je doute qu’elle soit jamais efficace, et je crois que Molière lui-même riait naturellement et pour son compte ; sur Beaumarchais, en tout cas, le jugement ne peut hésiter : il a écrit la Folle Journée parce qu’il devait l’écrire telle. « J’ai peur, disait Voltaire, que ce brillant écervelé n’ait au fond raison contre tout le monde. » Il a eu raison, en effet, et sans y prendre garde, en écervelé qu’il était. Il ne se piquait pas d’être un homme de l’art. Il écrivait comme il parlait, même pour le théâtre ; et surtout c’est ainsi qu’il écrivit le rôle de Figaro ; là surtout son stylo est « teint de son esprit ; » or son esprit était le plus joyeux qu’on pût souhaiter. Sa renommée de belle humeur, et de belle humeur intarissable, lui servait au besoin même de bonne renommée et combattait pour lui contre la calomnie : « Ce Beaumarchais, disait Voltaire, n’est point an empoisonneur : il est trop drôle ; » et il lui écrivait pour le complimenter en riant « sur ses trente-deux plats et sa philosophie gaillarde. » Certes il y a dans ces quolibets sur don Guzman Brid’oison quelque malicieuse rancune contre le conseiller Goëzman ; Beaumarchais pourtant écrivait cette scène de l’audience en riant de bon cœur et s’ébattant, avec cette même folâtre humeur dont naguère, chez le père Caron, l’apprenti « fait comme un diable » jouait au juge avec les gamins de son âge.

Il l’avait gardée, cette force de plaisanterie, même au For-Lévêque, d’où il écrivait : « Je suis logé depuis ce matin dans une chambre non tapissée, où l’on me fait espérer que, hors le nécessaire, je ne manquerai de rien, » — justement du même ton dont Figaro devait dire : « Pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni… ni… ni…, etc., je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs. » Il devait, pour dire vrai, se maintenir en gaîté jusqu’à la fin. Inscrit comme émigré, partant proscrit, presque ruiné, ne commence-t-il pas ainsi une lettre au comité de salut public, à ce pouvoir changeant et quasi anonyme : « Citoyens dont le comité est composé… » Sur le dossier qui renferme les documens de sa ruine, ne met-il pas cette étiquette bouffonne : « Mes rapports avec la f… atale