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natte au sommet de la tête, mais qu’ils laissent retomber sur les épaules durant les cérémonies religieuses. Ces chevelures féminines, jointes à un chant nasillard et flûte, donnent à ceux qui les portent un aspect équivoque qui me choque profondément. Mais c’est surtout le scandale du feu sacré qui rend la communauté grecque plus franchement païenne que toutes les autres. On sait les détails de cette honteuse jonglerie. Dans la nuit du samedi saint, le patriarche s’enferme dans l’édicule du Saint-Sépulcre, où il doit recevoir le feu céleste qui lui est rapporté, affirme-t-il, par un ange. Une foule immense emplit la grande rotonde : des milliers de pèlerins sont venus des contrées les plus éloignées du monde orthodoxe pour chercher une étincelle de la flamme divine. Chaque personne tient un cierge à trente-trois mèches, afin de représenter les trente-trois années de Jésus. Des cavaliers, accourus du fond de la Russie, attendent à la porte, leurs chevaux sellés, prêts à emporter le feu sacré à Sainte Pétersbourg, à Moscou, dans les villes et dans les villages russes. Tout à coup le patriarche tend, à travers une lucarne, son cierge enflammé. Aussitôt chacun se rue pour allumer le sien. Il se passe alors des scènes indescriptibles, des scènes de saturnale antique. Les femmes atteintes de maladies secrètes se brûlent les seins et font pénétrer la flamme jusque sous leurs vêtemens inférieurs. C’est une mêlée lumineuse où l’on se grise de feu, où bientôt toutes les têtes sont aussi brûlantes que les cierges. Heureux ceux qui peuvent rapporter jusque chez eux une étincelle divine ! On raconte l’histoire d’une malheureuse femme qui avait fait le voyage de Jérusalem dans le seul dessein de transporter dans sa maison, en Sibérie, la flamme du Saint-Sépulcre. Arrivé à Constantinople, son cierge s’éteignit : sa vie fit de même, elle mourut de désespoir. Cet accident n’est pas le seul, on le comprend, qu’ait provoqué la cérémonie du feu. Chaque année, plusieurs personnes sont grièvement blessées, et l’on se réjouit lorsqu’il n’y a pas de mort. La procession de la Dosseh, en Égypte, qu’on vient d’interdire comme une honteuse superstition, était à coup sûr mille fois moins hideuse et moins humiliante pour l’esprit humain. D’abord elle ne reposait pas sur une fraude incontestable ; puis elle se passait en plein jour, au grand soleil, au milieu d’une foule étincelant des plus merveilleuses couleurs. Le cheik qui circulait à cheval sur le corps des fidèles avait une tête admirable de fanatisme ; son cheval était un des plus beaux de l’Arabie. Il y avait une sorte de fantaisie brillante, aventureuse, tout à fait conforme au génie arabe, dans cette course au galop d’un cavalier saint qui passait comme un tourbillon sur des hommes enivrés de hachich, de lumière, et de rondes sacrées. Les orgies nocturnes du Saint-Sépulcre n’ont pas l’excuse d’une certaine poésie sauvage. Aussi est-il singulièrement regrettable que