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les maîtres de l’Égypte qui ont dominé un moment la Syrie n’aient pas réussi à les supprimer. Le premier qui l’ait tenté a été le kalife Hakem, le fondateur de la religion des Druzes, dont l’histoire a été si remplie de folies soi-disant divines. Est-ce par haine de la concurrence qu’il voulut détruire la cérémonie du feu de Jérusalem ? Je ne sais, mais voici comment un historien nous a transmis l’anecdote : « L’auteur de cette persécution fut quelque ennemi des chrétiens qui raconta à Hakem que, lorsqu’ils s’assemblaient dans le temple de Jérusalem pour célébrer la pâque, les chapelains de l’église, usant d’un artifice, graissaient d’huile de baume la chaîne de fer à laquelle était suspendue la lampe au-dessus du tombeau. L’officier arabe ayant scellé la porte qui conduisait au tombeau, ils mettaient le feu par le toit à la chaîne de fer ; le feu descendait aussitôt jusqu’à la mèche et l’allumait. Alors, ils s’écriaient en pleurant : Kyrie eleison ! comme s’ils voyaient le feu tombant du ciel sur le tombeau et se fortifiaient par là dans leur foi. » Pour faire cesser ce scandale, Hakem ordonna de détruire de fond en comble l’église du Saint-Sépulcre. Ibrahim-Pacha recourut de nos jours à des moyens moins violens. Il voulut pénétrer avec le patriarche grec dans l’édicule du tombeau et surprendre directement la supercherie du clergé. A sa sortie, une bataille générale où il faillit périr lui-même amena la mort de plus de trois cents personnes. Justement indigné d’une fraude aussi sanglante, Ibrahim-Pacha interdit la cérémonie du feu, mais la pâque grecque, fut aussitôt désertée ; les pèlerins ne vinrent plus, et avec eux partirent les nombreux dons en argent dont s’enrichit le patriarche, et sur lequel le trésor égyptien prélevait de fort gros bakchichs. On rétablit donc la fête. Depuis lors le tombeau de Jésus n’a pas cessé d’être souillé par la plus dégoûtante et la plus cruelle des jongleries prétendues sacrées.

Il faut dire, à la louange des Latins, que leurs offices n’ont pas le même caractère que ceux des Grecs. A part leur longueur inusitée, ils ressemblent absolument aux offices des églises catholiques de l’Europe. Un seul d’entre eux rappelle, non le paganisme, mais le moyen âge ; c’est un véritable mystère, une tragédie pieuse offerte aux fidèles par un clergé qui a le tort d’avoir conservé cette dernière superstition. La scène ne manque pourtant pas d’effet pittoresque. Elle a lieu dans la nuit du vendredi saint, au milieu d’un concours immense de pèlerins appartenant aux nations les plus diverses. La représentation roule sur les derniers incidens de la passion. On commence au calvaire. Une sorte de poupée, ou de mannequin, est cloué sur la croix ; c’est le premier acte : il est accompagné d’un sermon en français ; on détache ensuite la poupée, puis on l’enveloppe soigneusement dans un drap mortuaire, puis