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1425, principalement dans cette partie de l’Italie qui avait retenti des sinistres prédictions de Mainfroi de Verceil. Ce fut alors qu’un franciscain de l’observance, le célèbre Bernardin de Sienne, eut l’idée de recommander aux fidèles un procédé facile et en quelque sorte matériel de dévotion propre à calmer leur épouvante. Ce procédé consistait à rendre un culte extérieur au nom de Jésus, à tous les signes visibles, à toutes les représentations matérielles de ce nom. Bernardin portait partout avec lui une image où le mot Jésus se détachait en lettres d’or au milieu d’une gloire ; et quand il avait fini de prêcher, il présentait cette image aux fidèles en les invitant à se mettre à genoux et à l’adorer. Quiconque avait soin de se munir d’une image de ce genre et d’en orner sa demeure pouvait défier toutes les puissances du mal. Peu importait la venue imminente de cet Antéchrist dont on parlait tant : l’adorateur du nom de Jésus n’avait rien à craindre de lui.

Bernardin eut un succès immense et fut bientôt le prédicateur le plus populaire de toute l’Italie. Les franciscains ou cordeliers, rivaux naturels des frères prêcheurs, mirent d’autant plus de zèle à répandre ce nouveau mode de dévotion que le saint religieux qui l’avait introduit était une des gloires de leur ordre et qu’ils réduisaient ainsi presque à rien le prestige de la doctrine dominicaine de l’Antéchrist. Deux des principaux disciples de Bernardin de Sienne, le Napolitain Jean Capistran et le Sicilien Mathieu Cimarra, contribuèrent surtout à propager, chacun dans le pays d’où il tirait son origine, la doctrine du maître. Ils y apportèrent même une modification importante en faisant prévaloir l’usage de joindre dans une adoration commune les deux noms de Jésus et de Marie. Sous l’influence de leurs prédications, la coutume s’établit dans l’Italie méridionale de décorer du nom de Jésus la façade des habitations, et de nombreux couvens s’élevèrent, en Sicile surtout, sous le vocable de Sainte-Marie de Jésus.

Faut-il compter parmi les ancêtres de Bernardin de Sienne ces pauvres du Christ, vulgairement appelés jésuates, que l’on vit apparaître au-delà des monts dès la seconde moitié du XIVe siècle et qui reconnaissent pour fondateur Jean Colombin, originaire de Sienne comme Bernardin ? Nous n’oserions l’affirmer, bien que le nom des adeptes de ce petit ordre religieux semble indiquer une dévotion particulière au nom de Jésus et qu’une bulle du pape Martin V en leur faveur, datée du 21 octobre 1428, ait suivi presque immédiatement l’approbation, en cour de Rome, des pratiques pieuses recommandées par le prédicateur franciscain. Les jésuates avaient pour armes un nom de Jésus avec des rayons d’or en champ d’azur et au-dessous une colombe blanche, par allusion à leur fondateur saint Jean Colombin. Jeanne d’Arc, qui subit profondément, comme