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partis-pris, même des partis-pris soi-disant libéraux ; il doit accommoder son action diplomatique à la diversité des pays sur lesquels elle s’exerce, faire ici la politique financière, là de la politique commerciale, plus loin de la politique morale et, quoique l’adjectif soit peu à la mode, sentimentale. En Italie, on n’est pas du même avis qu’en France, à beaucoup près. Loin de trouver peu sage de se servir de la religion comme d’un instrument d’influence, on voudrait à tout prix nous enlever le monopole du protectorat catholique. Le texte des traités est formel : il est impossible de nier que tous les établissemens catholiques de Syrie sont placés sous notre direction. Mais on sépare les hommes des établissemens et l’on prétend que chaque puissance, en dépit des droits généraux de la France, a gardé la protection de ceux de ses nationaux qui font partie du clergé ou des congrégations d’Orient. La distinction est subtile en théorie ; en fait, elle n’est pas soutenable. Distinguer les questions personnelles des questions communes est impossible. Si chaque consul pouvait pénétrer dans les maisons catholiques pour y soutenir les intérêts de ses nationaux, ce serait une anarchie complète dont les Turcs seuls profiteraient. On ne saurait d’ailleurs avec un pareil système empêcher ces derniers de pénétrer, eux aussi, dans les maisons catholiques, attendu que les couvens, les hôpitaux, les écoles sont peuplés de sujets ottomans. Le protectorat de ces maisons n’est efficace qu’à la condition qu’une seule puissance l’exerce au profit aussi bien des individus qui l’habitent que de la maison elle-même. On oublie du reste que le gouvernement ottoman n’a pris d’engagemens diplomatiques qu’envers nous, et que, si ces engagemens ne valent que pour les Français, les nationaux des autres puissances risquent fort de se trouver exposés au bon plaisir de la Turquie. C’est surtout en Orient que l’unité d’action est nécessaire. « Toute maison divisée contre elle-même périra, » a dit l’évangile ; or quelle violente anarchie résulterait pour les missions catholiques de Syrie des intrigues et des conflits qu’amènerait la division du protectorat religieux ! On sent nettement cela à Rome. Des personnes bien informées affirment que le pape Léon XIII a dit un jour : « Nous avons été jusqu’ici beaucoup plus Italiens que catholiques ; il est temps de devenir plus catholiques qu’Italiens. » Si le mot a été prononcé, il est plein de justesse. Donner les mains à la politique italienne et autrichienne en Palestine serait pour le saint-siège sacrifier l’intérêt catholique à un intérêt purement national. En dépit des froissement qui ont pu s’élever en Occident entre l’église et la France, leur union en Orient est une telle nécessité qu’il serait singulièrement téméraire pour l’une ou pour l’autre de la dénoncer tant que subsistera l’empire ottoman.