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Mais il faudrait, je le répète, de trop longs développemens pour traiter cette question du protectorat catholique ; j’ai voulu seulement en indiquer en passant quelques détails essentiels. Un vieux consul de Syrie me racontait qu’après les événemens de 1860 Fuad-Pacha lui disait : « Je ne crains pas les quarante mille baïonnettes que vous avez à Damas. Je crains les soixante robes que voilà. » Il lui montrait des jésuites, des lazaristes et des franciscains. « Pourquoi ? lui demanda le consul. — Parce que ces soixante robes font germer la France dans ce pays. » Rien de plus vrai. Je me rappelle l’étonnement que j’ai éprouvé en plein désert, dans les environs de la Mer-Morte, en rencontrant une femme bédouine qui parlait couramment le français. « Où donc avez-vous appris le français ? — Chez les sœurs de Saint-Joseph, » me répondit-elle. Et la langue qu’elle avait apprise, elle l’apprenait maintenant à ses enfans. Les services qu’ont rendus à l’influence française ces modestes petites sœurs de Saint-Joseph, à peine connues en Europe, sont incalculables. Partout elles ont fait aimer notre nation en même temps qu’elles en ont enseigné la langue. Les indigènes nous jugent d’après quelques religieux et quelques religieuses qui passent leur vie à répandre des bienfaits autour d’eux.

Les musulmans n’échappent pas plus que les autres à la séduction de la charité chrétienne. Le couvent de Saint-Sauveur à Jérusalem distribue à lui seul 1,600 kilogrammes de pain par semaine. A chaque couvent d’hommes et de femmes est annexé un dispensaire où l’on donne gratuitement des consultations et des remèdes à tous les malades qui se présentent, sans distinction de cultes. J’ai dit déjà qu’en dépit de la mauvaise volonté du patriarcat, les écoles étaient ouvertes également à tout le monde. L’école des frères de la doctrine chrétienne à Jérusalem est un modèle d’installation, d’organisation et d’enseignement ; quoique fondée depuis bien peu d’années, elle compte déjà plus de trois cents élèves qui parlent tous le français. Chacun connaît le père Ratisbonne, dont la conversion au christianisme a fait tant de bruit il y a une trentaine d’années. Le père Ratisbonne est un organisateur de premier ordre. On lui doit à Jérusalem trois asiles où les enfans des deux sexes apprennent, avec notre langue et nos mœurs, un métier au moyen duquel ils gagnent honorablement leur vie. J’ai parlé de l’hôpital qu’un Lyonnais, M. Guimet, construit à Jaffa ; un second Lyonnais, M. le comte de Tiellat, élève de son côté à Jérusalem un autre hôpital qui ne lui a pas coûté jusqu’ici moins de 200,000 francs. Les indigènes ne sont point ingrats ; ils nous sont reconnaissans de ce que nous faisons pour eux. Les dames de Sion, dont le beau couvent est une des meilleures institutions du père Ratisbonne, m’ont raconté qu’elles avaient en permanence environ quarante