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mélancolie de Byron a toujours en elle quelque chose qui nous avertît qu’elle n’est cas à notre usage et qui nous tient à l’écart ; aussi nous intéresse-t-elle comme un beau spectacle auquel il nous est interdit de prendre part plutôt qu’elle ne nous apitoie réellement. La mélancolie de Musset, au contraire, nous invite à nous associera elle avec une sensibilité plaintive à laquelle nous ne résistons pas. Nous avons tous pleuré avec Musset, jamais Byron ne nous arraché une larme. En tout Musset est plus près de nous. En dépit de ses impertinences cavalières, on ne respire pas dans ses œuvres un autre air que celui des pays d’égalité ; une atmosphère démocpatique enveloppe toutes ses créations. Prenez ses personnages par exemple, et voyez comme ils diffèrent par la condition et l’esprit de ceux de Byron. Ne cherchez chez lui ni Childe-Harold, l’enfant issu des vieux Normands, ni Manfred, le châtelain des Alpes, ni le féodal Lara revenu de sa croisade mystérieuse de brigandage et de débauche dans les pays d’Orient ; les héros de Musset ne sont pas d’aussi noble origine, et il n’en est aucun qui puisse faire honte au plus roturier de ses lecteurs. C’est don Paez, un batailleur de caserne ; c’est Rafaël, le dandy débraillé que vous pourrez apercevoir s’enivrant dans les cafés à la mode, c’est Dalti de Portia, un pêcheur de l’Adriatique déguisé en grand seigneur, c’est Franck de la Coupe et les Lèvres, un plébéien révolté qui a forcé le monde à compter avec lui, tout à fait ce qu’on pourrait appeler un radical parvenu ; c’est Hassan de Namouna, un boulevardier qui s’est fait Turc par manière d’expédient ; c’est Rolla, un débauché sans prestige, hauteur de tavernes et de tripots. Résumons toutes ces différences par une image qui, en accusant encore te contraste, venge l’originalité de notre poète du reproche d’imitation. Byron, c’est l’archange déchu de Milton, qui a tout perdu,. mais à qui l’orgueil suffit, et qui ne regrette pas le ciel puisqu’il y trouverait un maître ; Musset, au contraire, c’est un pauvre enfant orphelin, laissé faible et seul, qui pousse vers le ciel des cris désespérés parce qu’il a perdu son père et qu’il ne l’a pas connu.

Musset garde donc sa physionomie originale dans le groupe des poètes mélancoliques ; il y a aussi son rôle propre, qui n’est pas le moins important. La mélancolie de Musset, ce n’est pas la mélancolie grandiose et monotone de Chateaubriand, s’obstinant à la contemplation des ruines de l’ancienne société. Musset prendrait, aisément son parti des ruines si on lui prouvait qu’elles seront fertiles. Ce n’est pas davantage la tristesse vague et inexpliquée de Lamartine, cherchant une consolation quelque peu feinte dans des croyances auxquelles son âme n’est que médiocrement engagée ; plus sincère, Musset avoue franchement que les croyances lui manquent et que c’est là pour lui une source, de