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baptisé du nom, un peu pompeux peut-être, de sociologie l’étude comparative de ces faits, il semble que la question du paupérisme et de ses causes soit devenue plus obscure que jamais. Il est vrai que les maîtres de cette science nouvelle n’ont rien fait pour en préparer la solution. On chercherait vainement dans les Principes de sociologie d’Herbert Spencer un chapitre consacrée la question du paupérisme, et si, dans son Introduction à la science sociale, il parle en passant de la misère, c’est pour condamner la charité à cause « de la réaction que les donations charitables produisent sur l’encaisse des banques » et pour s’élever contre cette sotte philanthropie, « qui aide les moins méritans à se propager en les affranchissant de la mortalité à laquelle les vouerait naturellement leur défaut de mérite. » Même silence et même dédain chez les docteurs en sociologie que nous comptons en France. Sans aller chercher bien loin, mon savant collaborateur, M. Fouillée, a pu consacrer ici même à la science sociale une série d’articles qui forment un volume très instructif sans que la question de la misère et de ses causes y occupe plus de dix lignes. Et cependant si, comme le veut Herbert Spencer, le corps social est en tout point semblable à un corps organique, si c’est là non point une figure de langage, mais une similitude véritable, les membres inférieurs et malades de ce corps ne méritent-ils pas autant de sollicitude que ses membres supérieurs et bien portans ? La science sociale, puisque science il y a, ne perdrait-elle même pas quelque peu de son crédit le jour où il serait démontré qu’elle consiste uniquement dans une série d’observations et d’inductions plus ou moins ingénieuses, mais qu’elle n’enseigne aucun remède pour guérir les plaies de l’organisme qu’elle étudie ? Aussi les économistes sont-ils moins dédaigneux de cette question du paupérisme que les sociologues de profession, mais c’est ici que l’anarchie commence.

Il y a en effet dans la science économique (les sciences sont nombreuses de notre temps), deux tendances bien distinctes, la tendance optimiste et la tendance pessimiste. Depuis une dizaine d’années, l’économie politique, si je puis me servir d’une expression aussi triviale, a ses Jeans qui pleurent et ses Jeans qui rient. D’après le dire d’un certain nombre d’économistes, principalement Anglais et Allemands, tout ce merveilleux développement de la richesse publique auquel nous assistons depuis un siècle n’aurait eu pour résultat que d’accroître le luxe et les jouissances de la classe privilégiée, de celle qui fait travailler, mais n’aurait rien ajouté au bien-être de ceux qui travaillent. La transformation de l’industrie depuis l’introduction de la vapeur et l’accroissement de la production n’auraient eu d’autre résultat que de démontrer la vérité de cet axiome émis par Turgot il y a un siècle : « En tout genre de travail, il doit