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Ces critiques ont leur importance ; elles ne sont rien, pourtant, comparées à celle qu’il nous reste à faire. Dans l’ancienne organisation des études, la place occupée par la religion et surtout par les exercices religieux était peut-être excessive. Dans le système de l’évêque d’Autun, ils cèdent le pas à la morale indépendante de tout dogme et au droit constitutionnel. La morale devient une science dont les principes « peuvent être démontrés à la raison de tous les hommes, à celle de tous les âges, » et la constitution figure au nombre des matières qui devront être enseignées dans toutes les écoles, même dans celles de canton ; car « on ne saurait trop tôt faire connaître à la jeunesse et les lois naturelles et cette constitution sons laquelle elle est destinée à vivre et que bientôt elle jurera de défendre « au péril de sa vie. » En même temps que ses lettres, l’enfant apprendra donc la Déclaration des droits de l’homme et les premiers élémens du droit naturel. Plus tard, à l’école de district, on lui présentera la morale « mise en action par la constitution » et l’histoire dans ses rapports avec cette même constitution. Enfin, pour se préparer à la vie publique, les jeunes gens seront habitués à traiter contradictoirement, tant de vive voix que par écrit, des questions de politique et d’administration. Quelquefois même ils formeront « une sorte de tribunal, d’assemblée administrative ou municipale ; ils y rempliront à tour de rôle les fonctions de juges, d’accusateurs publics, de jurés, d’officiers municipaux. Chacun d’eux sera obligé d’énoncer à haute voix son opinion. » Bref, dans cette étrange conception, la politique devient, du haut en bas de la « hiérarchie, » le principal but, la fin de l’enseignement. Elle absorbe et domine le reste. L’enfant n’est plus un esprit qu’il faut développer par une culture générale et désintéressée ; c’est un apprenti citoyen qu’il faut former avant tout. Il ne suffit pas d’en faire un honnête homme au sens élevé que le XVIIe siècle attribuait à ce mot ; ce qu’il faut considérer en lui, c’est le futur souverain. L’ancienne pédagogie lui parlait surtout de ses devoirs et le punissait quand il y manquait, Désormais il connaîtra ses droits et, soyez tranquille, il en usera, Le temps n’est pas loin que des gamins de quinze ans se présenteront gravement à la barre de la convention pour la féliciter de ses travaux, et où de tous les points du territoire il lui parviendra des adresses dans le goût de celle-ci : « Législateurs, que nous sommes heureux de succer pour ainsi dire en naissant les principes de notre constitution ! .. Nous sommes jeunes encore, il est vrai, mais le républicanisme nous a été dans tous les temps tellement inspiré par notre instituteur que nous avons tous juré de vivre libres ou de mourir. » (Archives nationales.)

L’émancipation de l’enfant, et par ainsi la destruction de toute discipline, c’est en effet là que tend le projet de Talleyrand et