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leur nature, si, par extension du même principe, la nourriture modifiait l’espèce des animaux, il n’y aurait plus sur terre qu’un type végétal, qu’un type animal résultant d’une fusion générale et, une fois dans cette voie. Dieu sait si les trois règnes ne se confondraient pas dans une masse inerte et inutile. Ce serait une manière d’amener la fin du monde à laquelle on n’a pas encore pensé et à laquelle nous conduirait l’influence du greffon sur le porte-greffe. Pour juger de la valeur d’une théorie, pour voir jusqu’à quel point elle peut franchir les limites du bon sens, il suffit de pousser cette théorie à ses conséquences extrêmes ; or l’idée qu’un âne nourri à l’avoine puisse devenir un cheval de course n’est pas plus extravagante que la théorie du porte-greffe modifié par le greffon.

Revenons donc au vrai et voyons comment la sève descendante ramène au sol certains élémens minéraux et dépose sur son passage ses acquisitions plastiques dont l’accumulation entre bois et écorce produit l’accroissement. La sève, en traversant la coupe de la greffe sous a ferme descendante, subit le changement inverse à celui qui avait eu lieu au même point sous sa forme ascendante. Le passage au travers des surfaces coupées et soudées cause de même un ralentissement qui se traduit par l’existence momentanée d’un bourrelet, et c’est ce bourrelet, conséquence de toute greffe et de toute incision, qui fait dire aux amateurs que le porte-greffe reste plus mince que le greffon, que cette faiblesse expose le greffon aux caprices du vent, etc. Rassurons-nous encore ; dès que la sève aura surmonté l’obstacle causé par la juxtaposition du bois étranger, le bourrelet s’accroîtra de haut en bas, recouvrant la soudure, l’enveloppant d’une couche de cambium, enveloppant aussi chaque racine jusqu’à sa spongiale finale.

Quant au vent, aussi vieux que le monde, il a toujours déraciné les chênes et soulevé les ondes ; pourtant on n’a renoncé ni aux chênes ni à l’empire des mers. Il faut compter avec lui, c’est évident ; mais si nous sommes les moins forts, soyons les plus adroits. Un pinçage opportun des pousses qui menacent de faire voile diminuera sa prise et un bon buttage paralysera le balancement qu’il voudrait imprimer à ce porte-greffe encore mince et faible.

J’ai parlé de l’accroissement de la plante et de la soudure parfaite de la greffe, effets différens dans leurs résultats, mais découlant des mêmes principes et se produisant de la même manière. Loin de passer au déluge, il me faut remonter jusqu’à la création pour trouver le principe de cette action ; si les détails dans lesquels j’entre depuis le commencement de cette troisième étude sont trouvés lourds et inutiles, je renverrai la faute à ceux qui me