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créancier des villageois ; puis, malgré leur désir de pacifier la vieille île celte, les Anglais sont peu disposés à obérer le trésor dans l’intérêt de leurs voisins de l’Ouest.

Cette répugnance des Anglais à faire des sacrifices pécuniaires pour l’Irlande explique en partie le refus du gouvernement d’accorder une indemnité aux landlords irlandais pour les droits dont il les dépouille. Les propriétaires accepteraient pour la plupart le principe du bill, si une pareille indemnité leur était concédée, au point de vue juridique, au point de vue du droit anglais, une telle compensation n’aurait rien que d’équitable. Il est certain que le nouveau bill empiète sur les droits de propriété reconnus et garantis aux landlords par les lois britanniques. Quand les promoteurs du bill disent qu’ils ne présentent aucune mesure de confiscation, mais au contraire une mesure de réparation en faveur du tenancier dont le landlord a peu à peu usurpé les droits, il s peuvent avoir historiquement raison, mais il n’en est pas moins vrai que cette usurpation séculaire du landlord avait été sanctionnée sinon provoquée par les lois de la Grande-Bretagne. En modifiant la loi au profit du tenancier, il semblerait donc plus conforme aux principes d’attribuer un dédommagement à celui auquel hier encore la loi reconnaissait la pleine et entière propriété du sol.

Pour se refuser à toute indemnité de ce genre, M. Gladstone et ses amis se placent de préférence sur le terrain pratique ; ils soutiennent qu’en fait, le nouveau bill ne portera aucun préjudice aux landlords, que, loin de léser leurs intérêts, il les servira. Si hardie que semble une pareille assertion, elle n’est pas absolument chimérique. Appliqué avec impartialité et prudence, le bill peut en effet assurée aux landlords irlandais des revenus plus réguliers et, si parfois il doit diminuer le taux de leur rente, il en peut faciliter la perception, souvent impossible aujourd’hui. Ce qu’ils perdraient d’un côté, ils pourraient ainsi le regagner de l’autre, et la situation actuelle est si mauvaise, pour les personnes comme pour les biens, que le plus grand nombre des propriétaires se soumettraient volontiers au bill s’ils étaient certains de toucher régulièrement leurs revenus diminués et de voir mettre un terme aux provocations de la landleague, aux crimes agraires et au boycottage.

Cette certitude, les landlords irlandais et le gouvernement peuvent-ils l’avoir ? Pour n’en point douter, il faut être bien optimiste. Si le système des trois f, consacré par le bill, peut fonctionner, il en résultera presque inévitablement à la longue de nouvelles doléances, de nouvelles haines, de nouveaux embarras. Ce système, aujourd’hui conforme aux aspirations du peuple, pourra être un jour dénoncé comme suranné et barbare, comme oppressif et injuste par ceux mêmes qui en demandent aujourd’hui l’application. N’est-il pas