Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Herpin et Defaux ; elles sont très vraies et on peut en juger, car elles sont prises aux environs de Paris : c’est presque le portrait en paysage. Puis nous nous trouvons en face de cette phalange d’artistes convaincus qui aspirent à rendre la nature telle qu’elle est, indépendamment de l’homme et de tout sentiment humain. Ils pensent devoir nous la donner simplement, et, en faisant abstraction d’eux-mêmes, nous laisser plus de liberté pour entrer en commerce avec elle. Certes, MM. Yarz, Verdier, Pointalin, Japy, Langerock et d’autres encore sont gens d’un incontestable talent ; ils mettent au service de la vérité une conscience rare. Nous admirons leur sincérité et nous comprenons leur effort pour se détacher des images qu’ils veulent mettre sous nos yeux. Mais, à force de désintéressement, ils en arrivent à ne plus nous toucher. L’artiste n’est pas absolument un instrument impassible. Il a beau vouloir conserver toute sa liberté d’indifférence, il ne le peut. Jamais aucun travail humain ne parviendra à rendre la nature telle qu’elle est. C’est en vain que l’intelligence veut, de parti-pris, se dérober à la conscience d’elle-même en présence du monde extérieur : les impressions du dehors se combinent avec elle. Elles se modifient en traversant le milieu pensant, elles y perdent une partie de leur indépendance. Dès que l’homme entreprend de les fixer, il les grandit ou les diminue, il les élève ou les abaisse à son insu. Il en souligne toujours quelque chose, et quand même il prétend nier son intervention ou sa présence, il les affirme encore par sa négation. Un fait qui a trempé dans l’intelligence n’est plus un fait naturel, c’est un fait humain. Or, nous le répétons, le risque que courent des ouvrages où le peintre n’a mis aucune prédilection appréciable, c’est, en dépit des mérites de l’exécution, de nous laisser indifférens. Aussi est-il mieux que l’artiste obéisse à son instinct et qu’en copiant la nature avec respect, il écoute cependant et fasse parler les sentimens qu’elle lui inspire.

Telle est la route que continuent à suivre les véritables chefs de notre école. Sans prétendre passionner le paysage, ils nous donnent cependant, grâce au choix des motifs et à l’attention qu’ils apportent à les faire valoir, des tableaux et non de ces réalités dans lesquelles l’artiste se tait par système et où la voix même de la nature ne peut se faire entendre. C’est dans cette mesure que M. Français a conçu les deux toiles qu’il expose cette année, et il y a mis toute la délicatesse et tout le charme de son talent. M. Bernier, avec sa Lande de Kerrenic, nous donne aussi un excellent exemple de ce que peut le sentiment uni à l’amour de la vérité : la simplicité de la donnée et la puissance du faire en sont vraiment magistrales, un bouquet de chênes aux écorces grises occupe une partie du tableau : il étend son ombre