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sur deux femmes qui gardent des troupeaux. A l’entour, des vaches, des chevaux circulent, paissent, reposent au milieu des ajoncs et des genêts qui couvrent la terre. Çà et là des rochers de granit percent l’épaisse broussaille. La lande s’étend à perte de vue. Le ciel est immense, et les nuages qui le traversent sont en mouvement. L’atmosphère est limpide, et l’impression est celle d’une belle journée dans un pays vaste et abandonné à lui-même. Avec le Bois de Saint-Martin de M. Busson, nous goûtons la solitude et la fraîcheur : on voudrait s’arrêter sous ces grands arbres au feuillage épais. Décembre, par M. Emile Michel, donne bien l’idée de la nature flétrie telle qu’elle est an commencement de l’hiver dans un pays de marais et de chasse. De plus, l’étude en est détaillée avec un soin et une vérité qui sont bien rares aujourd’hui. M. Ségé et M. Harpignies avec leurs belles études, savent toujours éveiller en nous le premier, le sentiment de l’espace ; le second, l’idée de la force. Nous aimons le Vieux Villerville, de M. Guillemet ; l’Etang, de M. Hanoteau, les plages de M. Vernier, les récifs effrayans de M. Lansyer, les voiles brunes et les ciels clairs de MM. Clays, M.-A, Flameng et Sauvaige. On le voit bien, ce que nous désirons, ce n’est pas un paysage composé, une sorte de paysage historique. Rappelons-nous un moment la Tempête de Ruysdaël, qui est au musée du Louvre. La mer, poussée par un vent du large, se creuse en sillons terribles. Des bâtimens louvoient à petite distance de la côte. Les flots assiègent le rivage, que protègent une digue et quelques pieux. A l’abri de cette faible défense, sur un sol conquis sur l’océan, à deux pas de l’abîme, on voit une chaumière ; un homme habite là au milieu des élémens qu’il brave. Ruysdaël fait songer à cela, et on est ému… Nous n’en demandons pas davantage.

La peinture de genre abonde à l’exposition et elle présente un phénomène psychologique particulier. On sait en combien de branches elle se subdivise. Il y a le genre historique dans lequel MM. Van der Ouderaa, Mélingue, Dawant et Scherrer se sont distingués cette année. Il y a le genre qui emprunte ses sujets à la vie ordinaire, et celui-là nous fournit d’agréables distractions ; la Répétition sur un théâtre d’amateurs, de M. Vibert, et l’Écot de Lantara par M. Brilloin sont de fort jolies toiles qui seront toujours du goût des amateurs. Il y a aussi le genre satirique, qui n’est pas classé dans les arts comme il l’est dans la littérature, mais avec lequel il faut compter. Les tableaux de M. Frappa et de M. Casanova ne manquent ni d’invention ni de gaîté. Mais rien ne change comme l’esprit de plaisanterie et rien ne court risque de vieillir aussi vite. Nous avons encore le genre rustique qui touche au paysage et qui s’étend jusqu’à la peinture d’animaux. Au milieu de tout cela le public ne marque pas de