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qu’à regret dans ses conseils et il s’est privé trop tôt de ses services. « Quand Windthorst est mon ministre, dit-il un jour, il me semble que je navigue sur un vaisseau au mât duquel je vois flotter mon pavillon et qui va où je veux aller ; mais si je m’endors un instant, je m’aperçois, en remontant sur le pont, qu’on a changé mon pavillon et que le bâtiment n’est plus dans les mêmes eaux. » Que ne prenait-il exemple sur la cour de Prusse ! Oh ! qu’on entend mieux à Berlin l’art de gouverner et l’art de s’entr’aider ! En Prusse, tout le monde sait son métier, et les reines elles-mêmes y passent leur vie à faire des choses déplaisantes et utiles ; elles diraient volontiers comme Mme de Sévigné : « Ce que je fais m’ennuie, ce que je ne fais pas m’inquiète ; » mais elles préfèrent bravement l’ennui à l’inquiétude. En Prusse, les pinces exigent de leurs serviteurs une exactitude ponctuelle, parce qu’ils sont eux-mêmes très exacts, et on n’y fait pas faire antichambre aux généraux plus qu’il ne convient. En Prusse, les souverains sont très jaloux de leur pouvoir et ils entendent choisir leurs ministres comme il leur plaît, mais ils ne retirent pas si facilement leur confiance à ceux qu’ils ont choisis, et, s’ils ont le bonheur d’en trouver un qui ait du génie, ils prennent en patience ses incartades, les rudesses de son caractère, les échappées de son humeur orageuse. Ils disent comme l’empereur Guillaume : « Il est vraiment fort désagréable, mais il nous a rendu de si grands services que nous devons le supporter. »

En matière de politique allemande, le roi George était un fédéraliste convaincu, intraitable, résolu à ne s’imposer aucun sacrifice. S’il se défiait de la Prusse, il appréhendait aussi les ambitions de l’Autriche. Son principe était que les états moyens devaient former ensemble une étroite liaison et s’arranger tout à la fois pour tenir la balance entre les grands ambitieux et pour les empêcher de se brouiller. On sait ce que deviennent les grenouilles quand les taureaux se battent. Mais il aurait fallu que les états moyens s’entendissent, et ils se jalousaient, se tenaient réciproquement en échec ; de quoi qu’il s’agît, ils étaient fertiles en objections et incapables de concerter une action commune. On ne sauve pas l’avenir par une politique d’improbation et de négative perpétuelle, et ils ne s’accordaient que pour dire non. Lorsque, en 1863, l’empereur François-Joseph conçut à l’improviste le projet de réunir à Francfort un congrès de princes allemands, à l’effet de préparer une réforme de la constitution germanique, le bruit se répandit qu’il entendait se faire décerner par eux la couronne impériale. Le roi George accepta l’invitation qui lui était adressée, mais il était déterminé à tout refuser. On sait comment avorta cette pompeuse entreprise. Francfort eut pendant quelques jours un air de fête et de gala. Les rues fourmillaient de princes, de principicules et de grands-ducs faisant assaut de splendeur et de faste. Partout des équipages luxueux, des laquais écarlates, des piaffemens de chevaux, des toilettes éclatantes, avec