Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/220

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aise de l’apprendre à M. Hillebrand, qui retarde peut-être de quelques mois sur nous : le régime sous lequel il a eu le chagrin de nous connaître a donné, ces temps derniers, des signes certains de ruine, et des signes certains apparaissent d’un régime nouveau.

Justement deux pièces, une comédie et un drame, ont réussi à Paris dans le courant de ce mois de juin ; le drame à la Porte-Saint-Martin, la comédie au Vaudeville ; l’un est le premier ouvrage d’un jeune écrivain, M. Buet ; l’autre est signé de M. Gondinet ; l’un a pour titre le Prêtre, l’autre, le Voyage d’agrément : examinons un peu partout ces deux pièces ont plu.

Et d’abord M. Hillebrand saura que le drame, qui dévorait naguère tant de théâtres à Paris, est mis depuis quelque temps à la portion congrue. Quand M. Hillebrand professait à Saint-Cyr, le drame tenait en maître la Gaîté, le Châtelet, la Porte-Saint-Martin, l’Ambigu. La Gaité est close depuis tantôt deux ans ; on l’a entr’ouverte un jour pour y jouer la Sainte Ligue : on l’a refermée bien vite. Pendant ces deux années, je ne trouve au Châtelet qu’un drame : le Beau Solignac ; il dure à peine le temps de reconduire les chameaux de la Vénus noire et de rajuster les trucs des Pilules du diable ; aux Pilules du diable succède Michel Strogoff, que remplacera sans doute, après douze ou quinze mois, quelque franche féerie. La Porte-Saint-Martin, en 1879, n’a produit qu’une pièce inédite : les Enfans du capitaine Grant ; le Tour du Monde avait occupé toute l’année de l’exposition. En 1880, je ne vois là qu’un pauvre drame, les Étrangleurs de Paris, mais combien moins fêté que l’Arbre de Noël, cette féerie, et des reprises de drame, comme la Mendiante et la Bouquetière des Innocens, mais combien moins fructueuses que la reprise de Cendrillon ! A l’Ambigu, on sent battre plus vivement encore le pouls de ce public, impatient de voir disparaître ou se transformer un genre condamné. En 1879, l’Assommoir, et rien de plus : quelque opinion qu’on ait de l’ouvrage de M. Busnach, il est certain, n’est-ce pas, que les derniers amis du vieux drame ne pensent pas un moment à se féliciter de sa vogue ? En 1880, je ne vois, comme nouveautés, pour faire attendre Nana, que Turenne, les Mouchards et enfin Diana. Turenne, plutôt qu’un drame, est une pièce militaire à grand spectacle ; pour les Mouchards, c’est bien un drame, mais un drame qui se moque du drame, à peu près comme Robert Macaire transformé par Frederick : les auteurs sont des sceptiques, des mécréans, des sournois, qui ont fait tout exprès une œuvre plus qu’à moitié burlesque. Enfin Diana survient pour démontrer clairement que l’arrêt porté contre le genre est désormais irrévocable et que nulle habileté ne peut déjouer sur ce chapitre l’indifférence résolue des Parisiens. Rarement M. d’Ennery, l’une des gloires de l’école, mit plus de soin à fabriquer une pièce pour une situation, à construire une machine pour l’honneur d’un ressort, à disposer ses pions pour un coup de partie, qu’il gagne en effet