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se prosterna et prononça l’admirable plainte poétique où il exhalait sa douleur et son espoir ; bientôt un cavalier, passant par hasard sur la route, insulta le pauvre Juif et l’écrasa sous les pieds de son cheval. Cette légende est sans doute peu vraisemblable ; elle n’en exprime pas moins fort bien et l’espèce de mirage qui entraîne tant d’Israélites vers Jérusalem et la triste destinée qui les y attend. S’ils n’y sont plus écrasés sous les pas d’un cheval furieux, à chaque instant ils y sont soumis à la misère, aux insultes, aux souffrances de toutes sortes. Qu’importe ! en dépit du sort qui les y frappe, ils viennent en foule de Pologne, d’Allemagne, de Russie, s’établir à Jérusalem et choisir, comme la folle dont je racontais l’histoire, une place dans la vallée de Josaphat. Tout un revers de la montagne de Sion sert de cimetière aux Juifs, cimetière banal, sans arbre, sans verdure, composé d’une série de dalles dépourvues de toute inscription, qui semblent tomber dans le torrent du Cédron comme un immense ébouleraient de pierres. C’est pour avoir un tombeau dans la vallée de Josaphat que les Juifs s’expatrient. Ils tiennent à reposer à l’ombre des murs de Jérusalem, à laisser leur dépouille mortelle sur le sol sacré qu’ils n’ont foulé durant leur vie qu’en exilés ou en captifs.

J’ai déjà dit que le quartier juif suait la misère et la malpropreté. Cependant l’Alliance universelle fait de grands et généreux efforts pour relever le niveau matériel et moral de la population israélite. Elle construit des hôpitaux et des asiles ; elle fonde des logemens où les arrivans sont reçus pour une petite somme et dont ils peuvent devenir propriétaires au moyen d’un très faible revenu annuel ; elle essaie de créer des écoles capables de rivaliser avec les écoles chrétiennes. Mais elle rencontre de la part des vieux Juifs une opposition déclarée. Pour les rabbins orthodoxes, l’Alliance universelle est une institution révolutionnaire dont les œuvres ne sauraient être trop ardemment combattues ; ils se défient de son enseignement presque autant que de l’enseignement chrétien, et, plutôt que de le voir se développer, ils aimeraient encore mieux consentir à envoyer la jeunesse israélite chez les frères ou chez les franciscains. Les écoles purement juives, les écoles talmudistes sont encore plus méprisables que les écoles arabes. Leur installation matérielle fait pitié, l’instruction qu’on y donne inspire le dégoût. Il faut espérer qu’en dépit de toutes les résistances d’une caste sacerdotale, qui trouve dans l’ignorance du peuple un instrument de domination, l’Alliance universelle parviendra à créer des écoles et à y attirer un grand nombre d’élèves. Nous devons le désirer d’autant plus que les professeurs, élevés à Paris et formés aux méthodes françaises, enseigneront dans notre langue et en