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personnelles, tous les programmes de l’enseignement[1]. Les innovations, quand elles paraissent nécessaires, sont partout soumises à des corps en possession d’une autonomie plus ou moins large et où le respect des traditions ne trouve pas moins de garanties que l’esprit de progrès. C’est ainsi que la France moderne, à travers toutes ses révolutions et toutes ses crises ministérielles, est toujours restée fidèle, dans son enseignement national, aux principes spiritualistes. C’est sur ces principes que s’appuie, depuis le commencement du siècle, l’enseignement de la philosophie dans les lycées et dans les collèges. Lorsque s’est constitué l’enseignement secondaire spécial, un cours de morale fondé sur les mêmes principes a trouvé place dans ses programmes. Un cours tout semblable a été introduit dans l’organisation légale du nouvel enseignement secondaire des jeunes filles. Enfin, sous une forme plus spéciale et avec d’autres procédés d’exposition, le même enseignement moral, uni aux mêmes principes spiritualistes, va faire son entrée dans les écoles primaires. Est-il besoin d’ajouter qu’à tous les degrés de l’enseignement, les programmes sont assez larges pour laisser aux maîtres toute l’indépendance de pensée compatible avec leurs devoirs envers la société et envers les familles ? Ils n’imposent pas de dogmes ; ils n’imposent qu’une élévation générale de pensées et de doctrines, très bien définie dans un rapport présenté au conseil supérieur de l’instruction publique par M. Paul Janet sur l’enseignement de la morale dans les écoles normales primaires. M. Janet compare l’enseignement moral à l’enseignement littéraire. Ce dernier n’a jamais été astreint à une étroite orthodoxie ; il peut admirer Shakspeare aussi bien que Virgile et Racine ; « mais, quelque large que puisse être l’éclectisme de l’état, il y a cependant un principe sous-entendu, c’est qu’il y a des œuvres belles et d’autres qui ne le sont pas, dés œuvres élevées et sublimes et des œuvres basses, plates et grossières ; et si l’état devait être absolument indifférent en matière littéraire, quelle raison aurait-il de se donner tant de mal, de dépenser tant d’argent, de s’imposer une administration aussi

  1. « Le ministre de l’instruction publique est le chef d’un des grands services de l’état ; il n’est ni un philosophe d’une secte quelconque, ni un théologien, et il a le droit de demander aux assemblées politiques, par la confiance desquelles il se maintient, de séparer dans sa personne, comme il les sépare scrupuleusement dans sa conduite, les doctrines et les opinions qui peuvent être le secret de sa conscience, et ses actes comme homme politique, placé par la confiance des représentans du pays à la tête du service de l’instruction publique… Je suis le chef d’un corps enseignant, qu’on appelle l’Université.. Vous avez le droit de demander à l’Université, qui sera chargée de cet enseignement moral, compte de ses doctrines. C’est l’Université, représentée par le conseil supérieur, qui fera le programme de morale. » (Discours de M. Jules Ferry, ministre de l’instruction publique, au sénat, dans la discussion de la loi sur l’enseignement secondaire des jeunes filles, séance du 10 décembre 1880.)