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accablante ? » La morale repose, comme la littérature, sur la distinction de ce qui est bas et de ce qui est élevé : « En même temps que l’état élève les esprits, il doit élever les âmes, et cela dans les deux sens du mot, à savoir : donner l’éducation et diriger vers le haut les âmes que la nature entraîne vers le bas. Telle est la pensée fondamentale que l’état doit maintenir, ou il n’a plus qu’à abdiquer. Or, cela même, c’est ce que nous appelons la distinction de la chair et de l’esprit, de l’animal et de l’homme, du plaisir et de la vertu, des passions et de la raison ; et la loi qui nous prescrit de sacrifier ou de subordonner ce qui est plat et vulgaire à ce qui est généreux, noble, délicat, c’est ce qu’on appelle le devoir. »

Tous les livres de « morale laïque » publiés en France par des membres de l’enseignement public ont su concilier la fidélité à la morale du devoir et aux principes élevés qu’elle implique nécessairement avec cette large et sincère liberté de la pensée qui est le fond de l’esprit philosophique. Je ne veux pas rappeler ceux de ces livres qui ont honoré l’enseignement supérieur et l’enseignement secondaire classique ; mais je ne saurais oublier que l’enseignement spécial, dès son établissement, a trouvé, pour guider ses maîtres et pour contribuer à former ses élèves, deux excellens manuels de morale, que deux membres de l’Institut, MM. Franck et Janet, n’ont pas dédaigné de composer et où, dans la mesure que comportent de tels ouvrages, ils n’ont négligé aucune des questions spéculatives en dehors desquelles il n’y a pas de véritable morale pratique[1]. Les écoles primaires sont à peine ouvertes à un enseignement moral distinct de l’enseignement religieux proprement dit, que les manuels se multiplient pour cet enseignement, tous conçus dans le même esprit spiritualiste, tous attestant également, dans l’unité de cet esprit, des conceptions indépendantes et originales. Deux de ces manuels ont pour auteurs M. Compayré, à qui l’on doit une remarquable étude, couronnée par deux Académies, sur les doctrines pédagogiques dans les temps modernes, et M. Marion, l’auteur de la Solidarité morale[2]. L’un et l’autre se proposent de former l’homme et le citoyen. Ils ne se bornent pas à expliquer la nature morale de l’homme et les relations générales des hommes entre eux ; ils cherchent à faire comprendre à leurs jeunes lecteurs le milieu social et politique dans lequel se développent et agissent les hommes de notre temps et de notre pays. Appropriant ses leçons à l’esprit de tout jeunes enfans, M. Compayré part du concret pour s’élever peu à peu à l’abstrait et redescendre ensuite à des

  1. Élémens de morale, par M. Adolphe Franck. — éléments de morale, par M. Paul Janet.
  2. Élémens d’éducation civique et morale, par M. Gabriel Compayré. — Devoirs et Droits de l’homme, par M. Henri Marion.