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millions entraînait le maintien de l’impôt sur le papier, et, au prix de ce maintien, l’équilibre artificiel établi par la commission n’était pas encore détruit. Un nouveau vote a décidé le prélèvement sur les excédens de recettes de 1882 d’une somme de 40 millions, destinée à former la dotation d’une caisse de secours en faveur de l’agriculture. Est-il besoin de faire remarquer que ces excédens de recettes ne sont qu’éventuels, et, en second lieu, qu’ils sont déjà affectés à compléter le remboursement des engagemens à court terme pour lesquels il n’est pas fait provision suffisante au budget ordinaire ? Entre les divers rôles qu’on leur assigne, quel est celui qu’ils rempliront ? Laisser a-t-on à l’état de lettre morte la décision de la chambre, ou, pour ajouter une nouvelle caisse à toutes celles que le budget alimente déjà, rejettera-t-on sur l’avenir une portion plus considérable des engagemens du trésor ? En outre, avec quelles ressources fera-t-on face aux crédits extraordinaires dont la moyenne est, au moins, de 60 millions par an ? On doit donc prévoir qu’aux emprunts annuels qui ont pour objet d’alimenter le budget extraordinaire il faudra ajouter d’autres emprunts destinés à combler les déficits du budget ordinaire.

Nous l’avons dit, le plus grand péril pour les finances françaises est dans l’existence du budget extraordinaire, sorte de pompe aspirante qui attire et absorbe sans relâche les épargnes du pays. Le gouvernement actuel est tombé dans l’erreur où était précédemment tombé l’empire. Au lieu de chercher la popularité dans l’économie et dans l’allégement des charges publiques, il compte se consolider par l’exagération des dépenses. Sous prétexte de compléter l’outillage du pays, il entreprend à la fois et prématurément une masse énorme de travaux dont la plupart demeureront longtemps improductifs et dont les autres ne seront jamais qu’un gaspillage d’argent. Pour ne partager avec personne l’honneur prétendu de ces travaux et la gratitude des populations, il veut tout exécuter lui-même avec son seul personnel et par ses propres forces. C’est là une erreur économique et une erreur financière. Si les avantages de la division du travail sont sensibles, c’est surtout dans les grandes entreprises. Il ne saurait être contesté que, conduite simultanément par l’état, par les compagnies et par l’industrie privée, l’exécution des grands travaux publics marcherait plus rapidement et à moins de frais. Il y a quarante ans, l’état a dû se charger lui-même de la construction des premiers chemins de fer : on n’eût trouvé en France ni le personnel, ni l’outillage nécessaires. Il y avait là un apprentissage coûteux à faire, et, après un inutile appel à l’industrie privée, l’état dut en courir les risques.

Il n’en est plus ainsi aujourd’hui : les compagnies de chemins