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années et l’avilissement du prix des denrées ne permettent pas de soutenir que notre agriculture soit prospère. Si exagérées qu’on veuille supposer ses plaintes, on ne prétendra pas que nos cultivateurs et nos fermiers soient en état d’opérer de nombreux placemens. Nos viticulteurs, aux prises avec le phylloxéra, sont encore moins heureux. A en juger par les dépositions recueillies dans les récentes enquêtes par les commissions du sénat et du corps législatif, celles de ces industries qui travaillent pour le dehors se plaignent de rencontrer partout de nouveaux concurrens et de ne point réaliser de bénéfices ; celles qui travaillent principalement pour le marché intérieur, comme la métallurgie, par exemple, sont encore moins satisfaites de leur situation : la démonstration de leur peu d’activité se trouve dans la condition déplorable de la plupart de nos charbonnages, qui ont peine à placer, à vil prix, le produit de leur extraction et qui ont cessé de donner des dividendes. On chercherait donc vainement dans les rangs des producteurs français où peuvent se rencontrer des capitalistes en quête de placemens pour leurs épargnes et leurs bénéfices. Cependant, pour ne donner aucune prise au reproche d’exagération, on peut admettre qu’il est des branches d’industrie moins maltraitées que les autres et, dans les circonstances présentes, c’est faire la part large à ces industries privilégiées que d’évaluer à un demi-milliard leurs bénéfices annuels. A côté des agriculteurs et des industriels, il y a les rentiers, qui sont plus nombreux en France qu’en tout autre pays. Veut-on que personne, absolument personne, n’ait besoin de distraire pour ses besoins journaliers, pour son luxe, voire même pour ses plaisirs, un seul centime des arrérages que l’état lui paie ou des dividendes qu’il reçoit des compagnies sérieuses ? Il suffit d’ouvrir le budget pour savoir exactement ce que le trésor paie aux créanciers de l’état ; on sait avec la même précision ce que les compagnies de chemins de fer paient pour les intérêts de leurs obligations et pour le dividende de leurs actions ; les paiemens du trésor et des grandes compagnies ne dépassent pas ensemble un milliard. En comptant encore 500 millions pour les dividendes d’un certain nombre de sociétés sérieuses et bien administrées, et pour les bénéfices commerciaux, on retrouve le chiffre de deux milliards comme le maximum annuel des épargnes que la France, dans les conditions invraisemblables que nous avons supposées, a pu consacrer à des placemens nouveaux, depuis le 1er janvier 1879 jusqu’au 1er juillet 1881. Ces cinq milliards en deux ans et demi représentent ce que nous appellerons le côté de la recette ; voyons maintenant les placemens, ou le côté de la dépense.

Commençons par les placemens de premier ordre qui ont dû