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par maître Jehan d’Abundance, basochien et notaire royal de la ville de Pont-Saint-Esprit. Vous en trouverez le texte, réduit au langage moderne, dans le très agréable volume qu’un jeune poète, M. Jacques Normand a publié, le mois dernier, sous ce titre : Paravens et Tréteaux. Lisez la Cornette et lisez ensuite, mais lisez tout bas, la seconde parade imprimée dans le premier volume du Théâtre du boulevard, je n’ose en écrire ici le titre exactement ; mettez que ce soit : la Confiance des maris. Vous reconnaîtrez facilement que cette parade n’est qu’une édition revue et corrigée de la Cornette, mais corrigée plutôt à l’usage du régent qu’ad usum Delphini. « Le Mari, » comme je l’annonçais, s’appelle ici Cassandre, et la femme Isabelle ; Finet, le serviteur, est devenu Gilles ; le « Premier neveu » se nomme Cassecroûte et le « Deuxième » Picotin ; mais les caractères sont les mêmes et l’intrigue est pareille, sinon qu’à présent on se dispense, du quiproquo, cette dernière excuse accordée à la sottise du mari. Les neveux de Cassandre, au lieu de lui tenir un langage équivoque, lui disent tout droit ce qu’il est, et qu’il « n’y en a jamais eu dans la famille ; » mais leur succès est le même, « t Isabelle les déjoue comme avait fait « la Femme. » Quand Gilles vient lui découvrir le projet qu’ont ces deux fâcheux d’éclairer leur oncle sur sa conduite, elle lui demande, : « Est-ce là tout ? » — absolument comme « la Femme » disait à Finet : « Ce n’est rien ! » Quand Gilles l’interroge sur ses moyens de défense, elle lui répond : « Moi ! je m’en vas le dire à M. Cassandre… Ne vois-tu pas que quand je l’aurai instruit, ils ne lui apprendront rien ? » C’était là déjà l’habileté de « la Femme. » Isabelle seulement est plus hardie que sa commère : au lieu d’avertir son mari que ses neveux médisent de sa cornette, elle se plaint bravement d’être calomniée elle-même et conclut de la sorte : « Savez-vous bien que j’aimerois mieux l’avoir fait, et qu’on ne le dît point ! » Cassandre, à la fin, chasse à coups de bâton Picotin et Cassecroûte, comme « le Mari » avait chassé ses deux neveux ; mais « le Mari » déjà nous permettait de prévoir ce progrès de la sottise chez les gens de sa confrérie :

Ah ! sur ma foi ! s’ils m’avoient dit
Que vous fussiez, mauvaise femme,
Déshonnête, vilaine, infâme,
Vous en allant de tous côtés.
Et pleine de mauvaisetés,
J’aurois autant cru leur sornette
Comme j’ai fait pour ma cornette !


Ainsi donc la farce, avec ses intempérances de rire, ses joyeusetés et ses ribauderies, ne fut jamais une passagère en France, mais une fille du sol qu’ont fêtée l’une après l’autre quinze générations de Français. Même il serait curieux d’étudier si, dans notre siècle, alors que