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la comédie se guindait trop souvent à des imbroglios pathétiques, ce n’est pas la farce qui sous des noms divers a perpétué chez nous le véritable esprit comique, et si M. Labiche, pour ne citer qu’un auteur, n’est pas l’héritier des Basochiens ou des Enfans sans souci. Aussi bien, si M. Renan a raison, de même que ce n’est pas seulement le XVe siècle, mais plusieurs autres avec lui, qu’il faut prendre en pitié, ce n’est pas la farce, mais encore la comédie qu’il faut prendre en dégoût. Vainement il s’en défend et il recule, lorsqu’il aperçoit l’extrême conséquence de ses aristocratiques prémisses : il avoue « qu’il serait puéril de déprécier la comédie en général ; » mais d’abord il a posé que ce sont seulement « les faiblesses, les inconséquences de la nature humaine qui sont ridicules, et non ses hontes ; » il a déclaré qu’on tenterait vainement de le faire rire « au prix de la honte d’un être humain ; » et d’ailleurs il estime que « l’homme n’a pas de marque plus décisive de sa noblesse qu’un certain sourire fin, silencieux, impliquent au fond la plus haute philosophie. » D’accord ; mais ce n’est pas pour donner des marques décisives de leur noblesse que les hommes se réunissent dans un théâtre ; ce sourire fin et silencieux n’est pas ce que demandent les auteurs au public, et s’il est défendu de provoquer le rire en peignant des travers ou des vices qui peuvent, à la réflexion, paraître ignobles ou odieux, si le poète n’a droit de railler que les faiblesses ou les inconséquences des hommes, c’est-à-dire la disproportion de leurs forces et de l’idéal qu’ils poursuivent, je ne vois à ce compte, dans toute l’histoire de la fiction, que deux personnages comiques, don Quichotte et Alceste : c’est restreindre in peu trop le champ de la comédie.

Mais quoi ! si nous trouvons que, même dans les siècles où fleurit l’imagination chevaleresque, l’esprit moqueur et goguenard put malignement verdir, n’est-ce pas que l’enthousiasme et l’ironie, ces deux puissances qui se partagent les lettres, habitent ensemble en chacun de nous ? Tel, redouté des hommes et décrié des femmes pour son tour de sarcasme impitoyable et, positif, n’a-t-il pas ses heures de tendre fantaisie ? Et tel autre, accoutumé à filer menu de beaux sentimens, n’est-il pas capable, à l’occasion, de plaisanter même avec force ? Par ces raisons j’estime que la farce est justifiée aussi bien que le roman de chevalerie : elle est humaine, et rien d’humain ne doit rebuter le critique. J’oserai dire encore que je vois clairement l’utilité morale de la farce. M. Renan damne Pathelin, parce qu’on y voit deux fripons, dont le plus fripon dupe l’autre, avant d’être à son tour dupé par un troisième, lequel joint à la friponnerie l’apparence de la bêtise : Pathelin est-il pour cela immoral et scandaleux ? Nullement ; à ce taux, les fables de La Fontaine et plusieurs comédies de Molière le seraient tout autant. Le renard vole impunément le fromage du corbeau ; le loup digère l’agneau avec tranquillité ; Angélique peut continuer à tromper George Dandin.