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l’avènement du général Ignatief au ministère de l’intérieur. Le général Ignatief est un homme d’esprit, fin, habile, profondément Russe, qui paraît se flatter de populariser le nouveau règne par une politique d’alliance avec les masses. Ce n’est là peut-être qu’un dernier expédient de l’autocratie menacée et à bout de ressources.

C’est un phénomène à constater. A travers les mouvemens du monde, depuis trente ou quarante ans, les systèmes constitutionnels, plus ou moins libéraux, ont fait des progrès, de tels progrès qu’il ne reste plus en Europe que quelques pays comme la Russie où l’absolutisme soit encore la loi reconnue, et que les états nouveaux s’efforcent de se donner des gouvernement pondérée. Ces systèmes pénètrent jusqu’en Orient, jusque dans ces jeunes principautés indépendantes qui naissent de la décomposition ou de la transformation de l’empire ottoman. Il est vrai que pour ces nouveaux états ce n’est là encore qu’une expérience singulièrement confuse, contrariée par des traditions d’anarchie locale, et que ces premiers essais d’institutions libres aboutissent parfois à d’étranges résultats. La Bulgarie en est une preuve avec cette crise récente qui s’est produite par un acte d’autorité souveraine du prince Alexandre, qui vient de se dénouer par le vote d’une sorte de septennat déguisant à peine une dictature temporaire. Il n’y a que deux ou trois ans que la Bulgarie a été organisée en principauté autonome dans la région des Balkans entre la Turquie, la Roumanie et la Serbie. Elle a reçu en naissant les institutions les plus libérales, un régime parlementaire complet avec une assemblée unique à peu près omnipotente et un prince lié par toutes les actions constitutionnelles. Malheureusement, en lui donnant l’indépendance et la liberté, on n’a pu ni lui donner les mœurs de son état nouveau, ni effacer du premier coup les traces d’un long asservissement ; on n’a pas pu créer instantanément une classe politique dans un pays où la masse sort à peine d’une oppression séculaire, où il n’y a ni une aristocratie exerçant une influence traditionnelle et formée aux affaires ni une bourgeoisie élevée par le travail et l’industrie. On n’a réussi qu’à ouvrir une arène où se sont précipités quelques chefs ambitieux et hardis qui ont formé bientôt une sorte d’oligarchie parlementaire peu nombreuse, impatiente de pouvoir, dominant à la fois l’assemblée et le chef de l’état. On a eu sous le nom, sous l’apparence du régime parlementaire, un gouvernement avec des ministres improvisés, inconnus la veille, M. Zankov, M. Karavelov, agitateurs suffisamment intelligens, fort inexpérimenté, assez habiles pour conquérir à peu de frais une certaine popularité, pour s’assurer une sorte de domination sans trop se préoccuper des intérêts sérieux et pratiques d’un pays où tout était à faire. C’est justement de cette situation qu’est ne il y a peu de temps cet acte d’autorité du prince Alexandre se décidant à congédier des ministres compromettons, à dissoudre l’ancienne assemblée et à en appeler au pays, à une assemblée